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Zero

«Si vous essayez de laisser de côté le désir de comprendre ce que vous voyez, que reste-t-il à regarder?» Voilà la question qui fonde Zero et permet à Ioannis Mandafounis, Fabrice Mezliah et May Zarhy de développer une danse sans queue ni tête, travaillée par le doute et l’opposition.

Non, ce n’est pas ça, tu ne peux pas comprendre… la chorégraphie fait sa crise d’adolescence, questionne l’identité et l’identifiable.

Mais que voit-on au juste, avant même de pouvoir regarder? Une succession de propositions, de débuts d’idées, de commencements de structures aussitôt démenties ou abandonnées. Les corps se rencontrent, s’encastrent comme dans un puzzle, répondent aux propositions sonores, avec une mécanique parfaite qui ne donne pas à voir de déroulement logique mais plutôt une forme de bégaiement.

Il y a de la répétition, du contrepoint, de la symétrie, de l’endroit et de l’envers et puis une série de gestes quotidiens qui, exécutés avec une précision toute professionnelle, constituent des séquences aux rythmes bien cernables. Hormis l’absence de sens (interdit), on observe une prolifération d’éléments constitutifs à toute chorégraphie, qui, s’ils échappent à la logique (on est loin des rébus de Jérôme Bel), n’en demeurent pas moins tout à fait représentatifs d’un vocabulaire contemporain désormais courant.

Or, si le pari des jeunes chorégraphes était «de savoir ce qu’il reste quand tout a été effacé — quand ne subsiste du corps qu’une enveloppe détachée de toute inscription, de toutes racines», on en revient justement à la matière physique. En effet, comment ne pas être saisi par la seule chose qui fasse sens dès lors qu’on malmène notre besoin de comprendre: les corps eux-mêmes, qui sont tout sauf neutres, trop différents de nos carcasses civiles, trop précis, trop intenses, trop beaux.
Bien sûr on pourra accueillir cette proposition dans sa lignée mallarméenne, ne voir que des personnages anonymes ainsi qu’une absence de décor qui ouvre l’espace-temps sur sa dimension absolue, en un point zéro, seul lieu acceptable où déployer une danse. Mais, ce qui reste… c’est bien l’inscription d’un travail spécifique qui façonne les corps jusque dans le mouvement quotidien.

A la fin de la pièce, les trois interprètes disséminent puis ramassent indifféremment des objets hétéroclites et peints en noir en même temps que leur pendants imaginaires. Ce tour de mime, qui prolonge un certain nombre de propositions corporelles développées pendant l’heure, achève d’objectiver les corps en les apparentant à des accessoires. Qu’on ne s’y trompe pas: tout objet (et donc tout corps pris comme instrument) porte en lui la trace de l’homme, de sa capacité technique que l’on pourrait résumer par l’ars. On peut ensuite ajouter une histoire, une généalogie ou juste une logique d’ensemble, l’objet fera pourtant toujours sens en lui-même, renseignant peut-être mieux que tout récit la pensée à l’œuvre.

— Conception, mise en scène, interprétation: Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah, May Zarhy
— Son: Johannes Helberger

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