Cy Twombly, Carl Andre, Daniel Buren, On Kawara, Niele Toroni, Nan Goldin… Quelques noms tirés parmi les artistes — autrefois inconnus, aujourd’hui célèbres — qui, depuis les années 60, ont fait l’affiche et la notoriété de la galerie Yvon Lambert. Une galerie parisienne nomade qui a su, au cours de déménagements successifs, se forger une identité de pionnière pour devenir l’un des lieux fondateurs de l’art contemporain international. Et ce, grâce à la passion et au talent de « découvreur » du grand galeriste et collectionneur Yvon Lambert qui s’est lancé dans l’aventure du marché de l’art voici près de quarante-cinq ans. Après avoir fondé un premier centre d’art dans le sud de la France, à Saint Paul de Vence, au début des années 60, le galeriste s’est installé à Paris dès 1967. Rue de l’Echaudé d’abord. Rue de Seine ensuite. Puis rue du Grenier-Saint-Lazare, à proximité du Centre Pompidou. Enfin, au 108 rue Vieille du Temple, où la galerie est aujourd’hui implantée. Retour sur ce parcours exceptionnel.
Entretien avec Yvon Lambert, directeur de la galerie.
Paris, le 28 janvier 2005
Caroline Lebrun. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a motivé à ouvrir votre première galerie à Saint-Paul de Vence en 1961 ?
Yvon Lambert. Je me suis intéressé très tôt à l’art et à l’histoire de l’art. J’ai eu rapidement envie de rencontrer des artistes et d’ouvrir une galerie pour exposer leur travail. Inutile de préciser la grande différence qui existe entre ce que j’exposais à la fin des années 60 et ce que je présente aujourd’hui. A l’époque, ces artistes étaient jeunes et débutaient eux aussi. En plus, je ne disposais pas de larges possibilités d’informations en étant dans le sud de la France. C’est pourquoi j’ai souhaité venir à Paris où j’ai ouvert ma première galerie à la fin des années 60.
Votre venue à Paris a-t-elle contribué à modifier vos choix esthétiques?
Paris me permettait d’être en contact quotidien avec le monde de l’art. A l’époque, Saint Germain était le lieu où il se passait beaucoup de choses. Cela a été un « déclencheur ». Puis je suis allé aux Etats-Unis où j’ai découvert le travail de plusieurs artistes qui m’ont très vite intéressé.
Au départ, vous avez surtout présenté des artistes américains?
Pas immédiatement. Dans les années 68, j’ai commencé à présenter beaucoup d’américains mais aussi des européens comme Niele Toroni ou Daniel Buren, des artistes qui exposaient souvent pour la première fois.
Avez-vous retenu ces artistes en fondant vos choix de façon purement subjective ? Aviez-vous déjà l’intuition de leur succès à venir ?
Non, je n’avais pas l’intuition de savoir quel allait être leur succès. J’exposais des artistes qui m’intéressaient, avec qui je m’entendais bien. Mais, il est vrai qu’en faisant ce métier, ma mission principale consistait à faire connaître ces artistes. C’est ce que j’ai fait. Parmi eux, certains sont devenus très célèbres, d’autres non. Mais à ce moment là , je ne pensais pas à la gloire dont ils allaient bénéficier.
Lorsque vous découvrez de nouveaux artistes, vous basez-vous sur certains critères pour décider de suivre leur travail?
Non, je n’applique pas de critères particuliers car chaque rencontre est différente. Ce qui m’intéresse lorsque je fais la connaissance d’un jeune artiste c’est de parler avec lui, de voir le travail produit et de sentir qu’il y a des promesses et que ces promesses seront tenues.
Pour vous, qu’est-ce qu’une promesse artistique ?
Une promesse représente quelque chose que je sens. C’est difficile à définir. On sent, à travers un travail, une conversation, que quelqu’un a quelque chose à dire et qu’il va l’exprimer de la meilleure des façons. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui apportent une nouvelle image, une nouvelle page à l’histoire de l’art en train de se faire.
Parmi les artistes que vous exposez, beaucoup sont-ils venus spontanément vers vous ? Comment se sont produites les rencontres ?
La galerie représente aujourd’hui entre 35 et 40 artistes. Les rencontres se sont produites de plusieurs manières. Je suis venu au devant de certains. J’en ai trouvé d’autres sur mon chemin. Cela s’est toujours fait simplement et rapidement.
Au niveau de l’implantation actuelle de votre galerie, pourquoi avoir choisi le Marais ? Quelles sont vos relations avec les autres galeries alentour ?
Le Marais : j’étais le premier à le choisir. Quand je suis arrivé, j’étais seul. J’ai commencé par ouvrir une galerie rue de l’Echaudé à Saint Germain où je suis resté un certain nombre d’années. Ensuite, la galerie s’est installée rue du Grenier Saint Lazare, à côté du Centre Pompidou. Puis je suis venu ici alors qu’il n’y avait rien. Tout était centralisé autour du Centre Pompidou. Le Marais est ensuite devenu un centre. C’est formidable ! Je suis ravi d’être entouré de nombreux confrères.
Pouvez-vous nous parler du lieu d’exposition que vous avez ouvert à Avignon – dans l’Hôtel de Caumont – pour montrer vos collections ?
Le lieu s’appelle « Collection Lambert ». Il s’agit d’une collection personnelle présentée dans un très beau bâtiment du XVIIIème siècle, mis à disposition par la ville d’Avignon. Dans ce lieu, ouvert depuis cinq ans, l’activité d’expositions est très importante. Jusqu’à la fin mai, une collection privée italienne de Bologne été présentée. Cet été, une grande exposition d’Anselm Kiefer s’y déroulera. Les œuvres ne sont pas à vendre, ce n’est pas une galerie. En montrant la collection à Avignon, je voulais donner une actualité, une information importante dans le sud de la France où ce type d’évènements fait souvent défaut.
Comment fonctionne la galerie que vous avez créée à New York, est-ce un lieu indépendant par rapport à Paris ?
La galerie de New York est la même que celle de Paris. Mais la situation est différente. Il y a beaucoup d’artistes américains qui sont présentés à Paris mais qui ne le sont pas à New York car ils sont déjà représentés aux Etats-Unis par une galerie américaine. J’ai monté cette galerie il y a deux ans parce que le marché américain m’intéresse. J’avais envie de le faire depuis longtemps. J’ai de nombreuses relations sur place et le fait d’être présent dans ce centre extrêmement important nous simplifie beaucoup le travail.
Qu’en est-il du marché de l’art américain en comparaison avec la situation que nous connaissons sur la scène parisienne ? La comparaison est impossible. Le marché américain est colossal. Tout le monde va à New York pour les expositions, pour voir l’art et pour acheter. Ce qui fait que Paris est un peu dans la situation d’une grande ville provinciale.
En tant que président du comité de sélection de la FIAC, quel visage de l’art contemporain souhaitiez-vous montrer ? Quel bilan dressez-vous de cette expérience ?
Le monde des foires d’art est très intéressant car il faut faire un choix des meilleures galeries. Il ne faut pas le faire trop longtemps car sinon cela devient un peu ennuyeux et académique. Désormais, ils ont tout changé car il n’y a plus de président à la FIAC.
Qu’avez-vous pensé de l’initiative qui consistait cette année à faire rentrer des galeries moins établies ?
On avait un peu moins d’espace, à l’époque où je participais à la sélection, mais il y a toujours eu un secteur « perspectives » dédié aux jeunes galeries à la FIAC. Cette année, ils ont éclaté un peu les choses avec l’introduction de mobilier, par exemple, qui rendait cet endroit très vivant.
Que pensez-vous de la situation économique du marché de l’art en France ?
Je n’ai pas envie de parler de la crise. Faisons de bonnes expositions avec de bons artistes et tout ira bien !