Fixes, ils tapotent des deux mains sur un rideau situé derrière eux puis s’élancent sur scène. Gallotta retranscrit, dans ces 10 danseurs, une empreinte de nos rapports humains, où en 1984, Yvan Vaffan a sans doute était différent, le virtuel ayant investi nos rapports, déplacé le curseur de la communication vers un Autre, souvent invisible, avec une parole lancée vers un ailleurs fait d’ubiquité car non situé, dans un langage court, tronçonné à la sms, un monde où la parole s’accroche à une présence absente. Ce groupe devient l’incarnation de ce rapport humain, multiple, complexe et varié.
On se touche, on se regarde, on se bouscule, on s’évite, on court et on se cherche dans un flot continuel de rendez-vous manqués, de contacts rapides, de regards jetés. Les rencontres sont toujours déséquilibrées tout en étant souvent comiques, des rencontres furtives presque commencées et jamais vraiment finies.
La danse de Gallotta se nourrit d’une énergie et d’un relâché dans les mouvements, dans une codification où la rigueur semble faire le lit à l’improvisation. La danse semble descendre dans la rue pour lui emprunter ses mouvements, ses attitudes dans une thématique artistique qui se nourrit des éléments extérieurs à une dramaturgie scénique.
A la fois vifs, rapides et courts dans une gestuelle très précise, les mouvements oscillent dans des amplitudes variées, sur des axes à la fois antinomiques et complémentaires, relâchés et sous tension. Il y a une part de «trivialité», d’animalité dans Yvan Vaffan, par l’énergie déployée dans les mouvements accompagnés parfois de râles. La grâce et la force se lient pour faire cause commune. On est à cheval entre spontanéité et relâchement, cri primal et attention urbaine, envie lubrique et désir amoureux, bousculade et toucher. Les contacts sont aussi francs et directs que cachés et volés.
Gallotta revisite, dans un pas de deux, la danse classique, une danse avec ses valeurs, ses codes, son surmoi artistique mais bousculé ici par un Ça nourrit de pulsions et d’envies transgressives. Libérer le désir dans un lâché prise où le danseur viole la loi, les règles. Yvan Vaffan était ce danseur qui a fait l’amour dans un pas de deux. Puis s’en est détourné par dégoût.
Tout se raconte autour de ces «corps», presque des îlots artistiques balayés comme des bouchons de liège par un vent citadin, dans un espace lieu où la rencontre devient voulue parce qu’accidentelle, à la fois désirée mais non souhaitée. Les danseurs sont dans une configuration spatiale où les mouvements se jouent dans une sorte d’évitement attractif. L’autre est cet inconnu qui pourrait être mon ami, mon amant, mon ennemi ou un étranger, à la fois objet de désir et de répulsion. Tout peut se télescoper comme des ovules et des spermatozoïdes ou des soldats ennemis en première ligne.
Les danseurs se cherchent dans une chorégraphie où la spontanéité et l’individualisme priment. Puis, le groupe naît, soudé, dans lequel chaque danseur est écho et prolongement de l’autre. Ce rapport est très bien articulé sur deux versants, l’un presque d’improvisation dans un relâché constant, instinctif du danseur, l’autre, très synchronisé en corrélation avec les valeurs d’un groupe.
Dans Yvan Vaffan, la danse sort de ses ballerines, elle mime les détours de ces rencontres anodines et perdues. En 1984, de ce spectacle, Hervé Guibert parlait de caresses. Ici, nulle caresse, juste quelques touchers de la main, de l’épaule, quelques bras pris, des gestes de refus, des attouchements sexuels puis un viol. Ce sont des contacts jamais finis ou trop commencés, un déséquilibre constant dans une société où le toucher accidentel est presque anormal, voire désiré mais non voulu.
Le danseur s’appartient puis il échappe aux règles pour que le groupe le reprenne. C’est un jeu de lâcher prise. Le danseur devient une persona, une individualité qui se cherche. La danse est un terreau dans lequel tout est réglé, tout est défini à l’avance dans une précision où le faux pas et le laisser aller n‘ont pas de prise. Gallotta reprend cette individualité dans ses rets et ses paradoxes pour les désagréger. Un danseur, dans un solo, timbre sa gestuelle de gestes courts, rapides, presque anodins, à moitié voulus, à moitié improvisés, des gestes comme sortis tout droit du quotidien sans passer par la case scène.
C’est beau, bien ficelé, dans une liberté artistique qui est devenue la norme mais qui au début des années 80, où l’ère de l’individu économique commençait à régner, bousculait les us et coutumes artistiques. Internet a changé la donne en faisant de chacun, un autre ailleurs, une présence derrière une absence et Yvan Vaffan retranscrit cette grammaire, une grammaire baignée de poésie artistique.