ART | CRITIQUE

You Have Been There

POrnella Lamberti
@23 Août 2011

La réponse donnée par les onze artistes influents de «You Have Been There» à la question du départ est sans appel: le départ sera poignant ou ne sera pas.

Pour les huit migrants de la vidéo Mapping Journey de Bouchra Khalili, peut-être l’œuvre la plus forte de cette exposition collective, le départ est évidemment subi. Chacune de ces personnes trace sur une carte du monde son périple à travers les pays, et bien souvent les continents, tout en commentant à voix haute ses pérégrinations extraordinaires, ses galères, ses rencontres, ses espoirs. Jamais le visage n’est révélé, la voix se chargeant d’incarner ce corps en errance.

Le traitement mettant en exergue une factualité énoncée plutôt qu’un pathos facile, rend ces témoignages glaçants. Tels les lieux de départ révélés par la photographe Yto Barrada, moins incarnés mais présentant tout autant les traces du passage des hommes; ici une maison dévastée, là un chantier, là encore un aéroport. Et David Goldblatt de rejoindre Yto Barrada, photographiant par exemple cette salle d’attente triste à mourir d’un cabinet d’emprunt de liquidités. Un de ces endroits où les destinées bifurquent…

Jeff Wall, quant à lui, parvient à ce que littéralité et métaphore du départ s’interpénètrent. Pour cela, le photographe immortalise un carrefour quelconque d’une ville inconnue — peut-être Vancouver. L’Intersection est ainsi réelle en même temps qu’elle est symbolique — car l’on sait que Jeff Wall n’est pas documentariste — le carrefour étant l’allégorie du choix, du changement, et donc du départ dans beaucoup de cultures. Cette croyance est également partagée par Christoph Keller qui confie son destin au flux d’un delta japonais, carrefour naturel s’il en est. L’artiste embarquera sur un radeau en amont de ce confluent et, si les eaux le mènent au sud, il restera artiste. Au nord, il deviendra scientifique.

Et, bien sûr, comment ne pas évoquer l’ultime départ? La tâche en incombe à Moyra Davey qui intitule sobrement ses douze images The End. L’artiste photographie avec nostalgie les lieux en rapport de près ou de loin avec le poète romantique John Keats lors de son passage à Rome, ville où il mourut en 1821. Une croix de bois vermoulu dans un cimetière, une stèle, un lustre à la magnificence patinée, une austère bibliothèque… Transformant ces images en enveloppes — quelle meilleure illustration du départ, du voyage? — Moyra Davey les envoie à la Maison Keats-Shelley à Rome. Une belle manière de parler de voyage et de retour aux sources… final.

«You Have Been There»: Tu as été là (donc tu n’y es plus). Si elles semblent dépeuplées au premier abord, les œuvres de cette exposition, habitées par une certaine théâtralité, portent a contrario les stigmates de ces hommes sur le départ. Bouleversant.

Oeuvres
— Annette Messager, L’Ensemble des mondes, 2006. Skaï, caoutchouc, filet, peluche, chaussette, terracotta et bois peints. 150 x 125 x 20 cm
— Bouchra Khalili, Mapping Journey #3, 2009. Vidéo couleur, son. 3 min 30 sec
— Yto Barrada, Arbre Généalogique, 2005. C-print. 150 x 150 cm
— Vue de l’exposition «You have been there», 2011.
— Moyra Davey, The End, 2010. 12 C-prints, scotch, timbres, encre . 30,5 x 44,5 cm chaque, 100 x 190 cm l’ensemble
— Pierre Huyghe, Don’t fuck with the monkey. Après la destruction du Forum des Halles et du zoo de Vincennes, 2011. 3 tirages jet d’encre sur papier d’archives. 29,3 x 22,5 cm chaque

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