Ymane Fakhir
Ymane Fakhir utilise la photographie pour mener un travail d’analyse et de réflexion autour des rituels sociaux. Dans un premier temps, elle repère ces rituels, puis elle conçoit et planifie les prises de vues photographiques. Enfin, elle se rend sur les lieux pour les mettre en Å“uvre, et probablement à l’épreuve de ce qu’elle avait imaginé. Dans les faits, c’est ainsi qu’elle avance depuis plusieurs années. C’est ainsi que naissent des séries d’images fixes, et à présent des Å“uvres vidéos. Deux ensembles d’images en couleur — Le Trousseau et Le Bouquet (2009) — sont centrés sur le thème du mariage. Elles sont un bon exemple de cette capacité à passer systématiquement en revue les éléments constitutifs d’une cérémonie.
Dans cette continuité, les photographies exposées les Socles et les Chaises sont des éléments de décor mis à nus, ramenés à une forme initiale habituellement cachée sous une accumulation de fioritures qui leur donnera une valeur d’usage. Jamais montrés directement, les corps sont éminemment présents dans ces images, par les vides qu’ils dessinent, qu’ils ont ou qu’ils vont bientôt occuper. Le vocabulaire de cet événement que peut représenter le mariage est montré avec une grâce et une finesse qui n’enlèvent rien au regard nécessairement distancié et analytique voulu par l’artiste. Comme dans un atlas, les images s’accumulent et, sans didactisme, un ordre intérieur poursuit sa propre logique.
Mais au-delà d’un récit neutralisant en apparence — les fonds blancs et les cadrages resserrés isolant les sujets de leur contexte —, les images poursuivent leur chemin en nous, n’hésitant pas à emprunter une voie plus subjective. Ce deuxième souffle contenu dans les Å“uvres d’Ymane Fakhir tient à la construction d’une temporalité suspendue, d’un moment répétitif et unique à la fois, dont on ne sait s’il est en train de se dérouler sous nos yeux, s’il s’agit d’une étape passée ou future. Cette sensation est de plus en plus présente dans l’évolution de ses photographies, mais c’est dans les vidéos, dont elle dit qu’il s’agit «d’une photo qui dure», qu’elle s’accentue. Ces vidéos dont trois sont présentées sur une série de cinq encore en cours d’élaboration ont été réalisées ces deux derniers mois. Il s’agit d’un travail très récent et ancien à la fois. Avant même la série du Trousseau, l’artiste avait eu l’intuition qu’elle devait explorer un certain nombre de moments forts de son enfance. Ces tentatives non finalisées à l’époque ont fini par trouver leur aboutissement en se dépouillant de toute parole, pour s’en tenir à des gestes simples, gorgés de sens.
Pain de sucre, Cheveux d’ange et Graine s’appuient sur cette même intuition. Un récit épurées et rendu nécessaire quand il s’agit demain tenir éveillées des images fondatrices d’un espace méditerranéen où les pratiques ancestrales cohabitent naturellement avec les technologies les plus contemporaines. Ymane Fakhir décide alors de filmer en plan séquence, comme elle le saurait photographiées, les mains d’une femme dans ses activités de base. Elle passe en revue ces gestes répétitifs qui consistent à transformer une matière première en nourriture. Plusieurs écritures s’y croisent — chorégraphique, culturelle et symbolique —, telles trois dimensions incontournables pour saisir la densité de l’espace dans lequel se déroule l’action. De ces mains de femme émergent des formes et des sons constitutifs de répertoires familiers, et il y a une sorte de magie à les voir se réaliser. L’agilité des mains, leur rapidité, leur exigence et leur détermination dans l’exécution, nous font assister en temps réel à un acte de création ancré dans le quotidien le plus trivial et pourtant emprunt de magie: quand la farine devient pâte, quand le roc blanc devient sucre en poudre, quand la rencontre de deux mains fait naître de minuscules cheveux d’ange.