Yazid Oulab
Yazid Oulab
D’aucuns pourraient enclaver l’univers de Yazid Oulab dans un discours par trop spirituel. Mais si le Soufisme, qu’il étudie assidûment, se révèle être sa principale source d’inspiration, cette mystique ne constitue pourtant qu’un des axes d’analyse de son vocabulaire formel. Yazid Oulab capte la poétique soufie. Mais, sans s’y appesantir, il déplace celle-ci dans des travaux d’une étourdissante polysémie.
Il est regrettable que nous ne puissions évoquer l’ensemble des clés de lecture de son œuvre. Attardons nous cependant sur la thématique de l’élève, métaphore centrale de son exposition.
Les dessins des Stylites urbains sont dédiés aux ascètes qui s’exilaient au sommet d’une colonne pour mieux contempler l’œuvre de Dieu. La verticalité de l’édifice rappelle la graphie du premier mot que le divin révéla au Prophète, la lettre «Alif», est la première syllabe, en arabe, du mot «lis, apprends». Alifs tridimensionnels, les clous de bois exposés matérialisent également cette force descendant des cieux pour dicter sa parole et instruire les hommes. Il est amusant de rapprocher les Annonciations de Lorenzetti ou de Fra Angelico, dans lesquelles la descente de l’esprit sain est symbolisée par une colonne séparant Marie de l’Ange Gabriel, et l’initiation du Prophète chez Yazid Oulab, laquelle se voit aussi représentée par une colonne.
Le clou est l’une des formes récurrentes de l’exposition. Loin de n’être qu’un équivalent spirituel à la tour du stylite, ce signe fait référence au travail d’ouvrier en bâtiments dévolu aux Maghrébins immigrés — l’artiste a lui-même exercé ce métier à son arrivée en France. Dans l’imaginaire de Yazid Oulab, le clou est encore l’outil qui permet de lier une culture à une autre, la française à l’algérienne. Petits clous taillés dans la craie, carreau d’ardoise métonymique du tableau noir des salles de classe : Oulab évoque ici les cours de français de son enfance. La craie plaque les connaissances au tableau et le clou les fait pénétrer dans l’esprit.
Ces œuvres au contenu pluriel convergent vers la figure du novice : il s’agit tantôt de l’Algérien plongé dans un nouveau biotope, élève acquérant les connaissances qui lui permettront d’y vivre, et tantôt du Prophète, disciple de son Dieu qui l’enseigne.
Yazid Oulab questionne la saturation vibratoire du vide et des objets. Dans Résonances, l’artiste place de petits personnages en méditation dans les nœuds d’un tronc d’arbre. Ces méditants constituent diverses communautés religieuses, chrétienne, bouddhiste… Les nœuds du bois sont assimilés aux rayonnements vibratoires liant les êtres entre eux. Pour l’artiste, la vacuité est saturée de ce qui nous connecte. À l’instar du vide de Résonances, les colonnes des Stylites urbains et les clous de bois sont des Alif symboliquement chargées d’énergie spirituelle.
L’univers d’Oulab est empreint de violence: prégnance de formes agressives, symboles de pénétrations psychiques ou sexuelles, clous, pointes… Dans Peau de mouton, un couteau, ustensile sacrificiel, est produit dans la peau du sacrifié. Par ailleurs, l’objet évoque ses propres antonymes : la chaleur de la laine s’oppose au froid de l’acier, la douceur de la peau au tranchant de la lame. Le mouton, animal symbole de candeur, prend ici une forme menaçante. «Tu ne feras point d’image». Conformément à cet interdit, les Orientaux ont délaissé l’icône au profit de la poésie et de la calligraphie. Dans Poème, l’artiste filme une poésie bédouine traduite en langage des signes. Celle-ci est sous-titrée phonétiquement. Son esthétique noire et blanche dérive des calligraphies arabes. Poème se veut l’équivalent visuel des poésies soufies. Conçues comme des paraboles, celles-ci font appel aux symboles, mais le sens profond du texte échappe à l’assistance. Elles mettent donc en place un décollement du signifiant et du signifié que Poème rejoue : d’un côté, la gestuelle des sourds-muets, les sous-titres, la voix du conteur, et de l’autre l’histoire dont nous ignorons le propos.