Yasmine Blum
Se questionner autour de cette figure, celle du monstre, qui fascine, qu’on rejette et qu’on fabrique, c’est se poser la question de ce qui constitue une société et autour de quels sacrifices elle se construit. Formellement, le travail de l’artiste va puiser littéralement dans des livres de science, dans des images du réel; que ce soit le monstre des abysses, le monstre humain ou l’acte monstrueux, toute sa production sera concentrée autour de ce thème. Celui de la catastrophe nucléaire ou de l’agent orange interroge l’artiste autant sur le résultat (déformations du corps humain) que les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu; ici, la substance tératogène a été inventée par l’Homme, qui se modifie lui-même. La manière dont celui-ci agit sur la nature semble être une forme d’auto-régulation ou de suicide organisé et inconscient. Loin d’en faire un propos politique, elle s’appuie sur ce réel pour créer une narration ou une imagerie dégénérée, qu’elle raconte sur plusieurs plans (macroscopique, physique, cellulaire), sur plusieurs modes (figuratif, ou pas), et par plusieurs médiums (dessin, broderie, installation). L’artiste étend la résidence à toute la durée de l’exposition: l’accrochage ne sera jamais définitif, le travail toujours en cours, dans une forme libre et ouverte à des interventions extérieure et des expériences, plastiques, sonores et corporelles.
Dans le cadre de cette recherche, l’artiste propose des rendez-vous où le corps du spectateur sera intégré dans une expérience de massage/chorégraphie, accompagnée d’une pièce sonore jouée, où via sa propre chair, le spectateur recevra diverses informations dont il ne sortira probablement pas exactement le même. En revanche, comme tout rite ou procédé thérapeutique, il devra donner une chose en échange, et écrire quelques lignes de cette expérience. Il y a une volonté de mise à distance avec toute forme de croyance et de prosélytisme, tout en faisant le lien entre des disciplines telles que la création, la science, la thérapie ou la transe. Tout l’intérêt qu’elle porte à la mystique et à l’ésotérie est la poésie qui s’en dégage et les incroyables formes plastiques et formelles qu’elles peuvent prendre parfois, lors de rites, de processions ou d’objet de culte. Loin d’être crédule, cet éclectisme rejoint la philosophie du doute, la zététique, nous interrogeant sur toutes les modes médicales, inventions de termes de maladie, théories scientifiques qui n’ont jamais été validées mais qui sont enseignées; tout ce champ sensible et intellectuel va au final nourrir une narration dégénérée, mutante, en général sous forme de dessin, d’objet détourné ou d’installation scénique, reprenant le thème du cabinet de curiosité et de sa mythologie du savoir.