Le Centre national de la danse, qui a édité le livre sur Hideyuki Yano, a présenté un montage d’archives photographiques, constitué des photos en noir et blanc d’Anne Nordmann, et de séquences de films, sélectionnées par Alain Longuet et assemblées par Stéphane Caroff, ainsi qu’une copie vidéo du film 16mm Mâ année zéro de Takatsuna Masaki (1970, 22 minutes).
Au milieu des années soixante-dix, pratiquement en même temps que Carolyn Carlson, Susan Buirge, Arlet Bon, Jacqueline Robinson, Jerome Andrews et Elsa Wolliaston, en synergie avec ces figures désormais historiques, Hideyuki Yano joua à Paris un rôle considérable pour ce qui est de la danse contemporaine.
Il combla le vide qui avait recouvert la chorégraphie en France, où l’on ne jurait plus que par le classique et le néo-classique − au moins depuis les temps héroïques et les audaces formelles de Maurice Béjart, Janine Charrat, Françoise et Dominique Dupuy, à la fin des années cinquante.
Hideyuki Yano fit aussi le lien entre plusieurs cultures, plusieurs conceptions – pour ne pas dire traditions – de la modernité. Il a donné l’exemple d’une danse japonaise, forcément inspirée par le Nô et le Kabuki mais aussi personnelle. Dans l’un des rares entretiens accordés à la télévision nippone, pour justifier le fait qu’il habite à Paris, il déclare simplement vouloir faire de l’art contemporain et en vivre, chose impossible ou extrêmement difficile au Japon dans les années 70.
Joignant le geste à la parole, il fit preuve, esthétiquement parlant, d’une certaine radicalité auprès des jeunes danseurs français attirés par l’Asie et aussi par le charisme d’un personnage pas toujours facile à vivre. À leur tour, ces derniers, qui avaient parfois pris des cours chez les maîtres de la modern dance Nikolais et ses épigones : Carlson, Buirge ou encore Merce Cunningham, allaient devenir des interprètes remarquables, des chorégraphes, voire des directeurs de compagnies. Le mouvement de la « jeune danse » française était né. Ce mouvement allait exploser lors des concours de Bagnolet, se développer au Cndc d’Angers puis s’installer dans les Centres chorégraphiques nationaux.
Paradoxalement, en prônant une sorte d’ascèse, le presque rien, la tension, le déséquilibre, le silence et l’immobilité, Hideyuki Yano contribua au mouvement des mouvements. L’exemple français fut alors un signal fort pour d’autres pays d’Europe ayant leurs propres filières (Mudra en Belgique, le mouvement punk en Grande Bretagne, la danse-théâtre en Allemagne).
En France, tout le monde a, un jour ou l’autre, suivi les cours de danse d’Elsa Wolliaston. Et une partie de ce « tout le monde » a assisté ou participé aux ateliers de Hideyuki Yano. Dans son livre consacré au chorégraphe, Chantal Aubry note le lien de proximité entre ces deux figures de la danse contemporaine qui ont pris en compte le fait d’ « intérioriser le mouvement ». En 1976, tous deux formèrent le groupe Mâ, auquel se joignirent par la suite Lila Greene, Sidonie Rochon, François Verret et Mark Tompkins, compagnie éphémère qui allait se dissoudre avec les années 80.
Elsa Wolliaston a dansé en hommage à Hideyuki Yano. Dans un silence d’absolu recueillement, toutes toux tues, le public, venu nombreux assister à cet événement, a admiré la fluidité de la chorégraphe, son sens de l’ici et maintenant, ses enchaînements étonnants mais, après coup, évidents. Elle a rejoint sa place au premier rang au moment où l’opérateur a tamisé la lumière. Les ténèbres ont, à cet instant, fait écho à la danse.
Le chorégraphe, mort en 1988, aura su incarner ce que Chantal Aubry appelle « la valeur chamanique de la danse, acte magique entre tous ».
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