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Y aura-t-il un deuxième siècle de l’art moderne ?

L’apparition d’un nouvel art pompier, l’importance de l’image puis du corps dans l’art, le vivier novateur des Pays de l’Est, la politique culturelle de la France ou le déclin de la peinture : autant de sujets, polémiques ou non, nés de l’art contemporain, et qui interrogent sur l’héritage de l’art moderne.

— Éditeur(s) : Pleins Feux, Nantes
— Année : 2002
— Format : 19 x 13 cm
— Illustrations : aucune
— Page(s) : 121
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-912567-74-2
— Prix : 13 €

Présentation (extrait)
par Robert Fleck

« Que reste-t-il aujourd’hui de l’art moderne? » L’exemple de la « Documenta X » est, à cet effet, éclairant : il nous introduit au cœur des enjeux esthétiques de cette fin de siècle. Dans une exposition d’art moderne, il aurait été inimaginable de se passer de tableaux, de peinture et de sculpture. Jusqu’au début des années soixante-dix, l’art moderne avait précisément réinvesti en grande partie ceux-ci et réinventé de fond en comble la notion de tableau. L’art contemporain des dernières décennies participe-t-il encore au grand mouvement de l’art moderne qui a débuté vers 1863 avec Édouard Manet et les impressionnistes, influencés par l’œuvre d’Eugène Delacroix ? Sommes-nous déjà dans une nouvelle période artistique, qui propose une extrême diversité des formes esthétiques pour traduire de différentes manières la fragile frontière entre l’art et le réel ? C’est ce que suggèrent un certain nombre d’historiens et de critiques d’art qui situent la rupture vers 1960, avec Yves Klein, le happening et l’explosion de la notion traditionnelle de l’œuvre d’art. Le critique d’art allemand Stephan Schmidt-Wulffen décrit la situation actuelle de l’art comme un « conflit de deux cultures », avec d’une part un « art réel » qui aurait déjà largement inventé une nouvelle culture artistique, et d’autre part une société et des institutions conservatrices qui forment un carcan de plus en plus contraignant empêchant l’épanouissement de cet art nouveau.

Le débat que provoque cette première question : « Sommes-nous encore dans l’art moderne ? » est loin d’être tranché. La majorité des critiques d’art considère aujourd’hui que l’art contemporain n’a plus grand-chose à voir avec l’art moderne. Dans les revues d’art et dans les catalogues d’exposition, les références historiques s’arrêtent couramment à 1960, ou à 1940, lorsque les peintres américains de l’expressionnisme abstrait ont fait éclater la notion de tableau de chevalet et la sculpture figurative. Parmi les fondateurs des « avant-gardes historiques » de l’art moderne de la première moitié du vingtième siècle, seul Marcel Duchamp, mort en 1968, est omniprésent dans les esprits. Par contre, Fernand Léger, Picasso, les Futuristes, les Dadaï;stes et les Surréalistes, Paul Klee et même Henri Matisse, dont l’œuvre exerçait encore une influence directe pendant les années soixante-dix, ne sont aujourd’hui que des références historiques. À certains égards, ils apparaissent aussi lointains que Cézanne ou Delacroix. Dans les écoles d’art, l’art moderne et ses trois idées essentielles (signes simples, vrais et universellement compréhensibles; vision sociale; parallélisme aux lois de la nature) ne sont plus enseignés. Ni ses techniques, ni ses idées ne sont transmises aux étudiants. On se croirait déjà dans une nouvelle époque, qu’un concept sociologique et architectural datant des années soixante-dix nomme « post-moderne ».

Pourtant, un certain nombre d’artistes prépondérants ne voit pas de rupture entre art moderne et art contemporain. Pierre Soulages a exercé une influence sensible sur le débat artistique et sur les jeunes artistes avec ses toiles entièrement noires où la lumière, et ses différents rythmes quand elle réfléchit le noir, est primordiale. Même si on peut voir dans ces tableaux d’une grande force physique, une réponse picturale à l’image électronique, Soulages se considère comme un artiste moderne à part entière et ne voit aucune rupture entre l’art modeme et la création contemporaine. Ceci vaut également pour Georg Baselitz, le continuateur le plus puissant de la tradition expressionniste en Allemagne. Il est plus surprenant encore de rencontrer la même opinion chez un Christian Boltanski, principal inventeur de l’art conceptuel en France à la fin des années soixante. Boltanski ne s’exprime qu’avec des photographies anonymes et des dispositifs scéniques fortement chargés de mémoire, mais il se définit comme « peintre » puisqu’il exerce la fonction d’un « faiseur d’image » traditionnellement désignée par ce mot. Même Jason Rhoades, star californienne de la sculpture contemporaine, né en 1965, se réclame de Constantin Brancusi, le sculpteur moderniste par excellence, ou de Donald Judd, l’inventeur de l’art minimal. Tout en créant des installations apparemment chaotiques et indéfinissables, Jason Rhoades se considère comme appartenant à la même histoire que ses illustres aînés, celle de la sculpture moderne.

Il est difficile, voire impossible, de généraliser dans ce domaine. À la question : « L’art moderne a-t-il encore part dans l’art contemporain ? », on peut répondre que pour les principaux artistes actuels, confrontés au public intemational, l’art moderne continue d’être une référence importante, et même un élément d’identification. Souvent, ils ne considèrent pas comme réelle cette rupture supposée entre les mouvements modernistes et les créateurs d’aujourd’hui, que la majorité des critiques d’art tiennent pour acquis depuis longtemps. Les artistes importants se réfèrent souvent à des liens profonds et intenses entre l’art moderne et leur propre œuvre qui ne sont pas assez pris en compte par la critique d’art. Cependant dans le discours dorninant de l’art contemporain, la référence à l’art moderne a été depuis longtemps liquidée.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Pleins Feux)

L’auteur
Robert Fleck, né à Vienne en 1957, vit depuis 1981 en France. Critique d’art et historien de formation, il est actuellement directeur de l’École régional des Beaux-Arts de Nantes.

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