L’édition 2005 présente une palette étendue des rapports possibles à cet espace : de l’immixtion subreptice et poétique (Claude Horstmann), à l’enclave qui, d’autorité, impose une occupation spatiale et symbolique. Ainsi l’installation Robespierre de Hidéo Morié, créée antérieurement pour l’inauguration d’une structure municipale éponyme : une palissade de tôle ondulée, solidement maintenue par des tubulures d’échafaudage, délimite un périmètre qui évoque l’un de ces chantiers interdits au public. Que l’on a en effet le sentiment de pénétrer par effraction, en foulant une bâche et du carton, jonchés de textes, consacrés à la Révolution et la guillotine, et de photographies : têtes de suppliciés, ou portraits, par Nadar, d’artistes du XIXe siècle. Dans l’enceinte se dresse une guillotine, abandonnée là avec d’autres objets de rebut : vieux frigos, casiers, tréteaux rouillés, affiches et photocopies éparpillées au sol. Et des têtes, prises au piège. Des choux chinois, à vrai dire, qui se faneront au fil du temps de l’exposition : métaphores improbables pour le spectacle, refoulé, de la mort et de l’exaltation révolutionnaire.
Gyan Panchal et Guillaume Leblon produisent des œuvres in situ, en ce sens que l’espace reconfiguré imprime en retour ses caractéristiques architecturale et fonctionnelle à l’œuvre. La salle investie par Guillaume Leblon est ainsi plongée dans l’obscurité, comme la salle de cinéma qu’elle fut à l’origine. Une paroi blanche, métaphore de l’écran, la coupe en deux. Une porte surdimensionnée s’y entrouvre laissant passée un flot de lumière aveuglante. Porte et paroi sont recouvertes de papier qui en adoucisse la rectitude, et évoque un monde flottant, une fiction à rêver.
Gyan Panchal a abaissé le plafond de la salle qu’il occupe par un réseau-grille de cordes rouges. Précipités par la pente, deux blocs blancs, parallélépipèdes parfaits, ont glissé vers le fond. L’un d’eux a été entamé à coups de burin géant. Contre le mur du bas, s’adossent trois formes planes de géométrie élémentaire (un cercle, un carré et un triangle) découpées dans du plexiglas de chacune des trois couleurs primaires. Un herbivore sommaire, bombé au mur, évoque un dessin rupestre. Blocs à informer, couleurs, traits, traces, les matériaux plastiques de base, dans leur version chimico-industrielle contemporaine (plexiglas, polystyrène, polyéthylène), sont ainsi sobrement mis à disposition, disponibles à un éventuel redéploiement.
Plus sophistiquées en apparence, les installations de Boy & Erik Stappaerts ont pour matériau et objet, l’espace, et les modalités, d’exposition mêmes. Les murs blancs ont disparu au profit de subtiles harmonies en camaïeu, dont les tonalités sont par ailleurs rangées en dégradé dans des casiers conçus à cet effet. Un poste de consultation sur micro-ordinateur ouvre sur l’espace virtuel d’exposition que propose le site Web de l’artiste. D’un design très années soixante-dix, des objets lisses en plastique moulé, qui évoquent cuve ou centrifugeuse, sont disposés sur une table de formica orange. Dans un coin mi-bureau mi-salon, un poste de télé débite en continu une longue interview en anglais de l’artiste, qui propose ainsi sa redéfinition de l’espace muséal.
Auquel Franck Bragigand s’efforce lui d’échapper. L’espace d’exposition n’est plus que le réceptacle d’un échantillonnage des interventions de l’artiste dans l’espace urbain. Une batterie de moniteurs diffuse des vidéos, témoins d’actions diverses, qui ont toutes à voir avec la peinture et la couleur. Repeindre le monde. Lui redonner les couleurs de l’art. Ce sont, par exemple, des meubles repeints (recyclés, multiples, mais rendus uniques par l’unicité de la couleur qui les habille) vendus à la criée sur les trottoirs (Peinture dans la rue) ; des maisons, à Amsterdam, recolorées dans des couleurs vives et bariolées, avec l’intervention des habitants, puisque selon un adage tout warholien : « tout le monde peut être artiste ». Ou encore du mobilier urbain, en l’occurrence celui d’Ivry, décliné en « couleurs fictives », qui jalonne l’exposition.
Zone est, champ de gravité, porte de référence. Ces quelques mots, déposés çà et là par Claude Hortsman, en relief et en argent nacré, à l’instar des indications qui servent de repères dans les couloirs moquettés des grandes entreprises ou des administrations, réorientent l’espace par subtils déplacements de sens. N’est-ce pas là finalement ce qu’attendent les commanditaires d’un art urbain et public : réinsuffler du sens là où les pistes et les usages n’en finissent plus de s’entrechoquer et se brouiller.
Franck Bragigand
— Restauration du quotidien, 2005. Mobilier urbain de la ville d’Ivry, couleur fictive.
Claude Hortsmann
— Texte (champ), 2005. MDF. Peinture acrylique. Dimension variable.
— H, 2005. Aggloméré, toile, peinture acrylique.
Guillaume Leblon
— Vue depuis le hall vers la porte, 2005. Papier, bois, projecteur lumière du jour.
Hidéo Morié
— Robespierre, et la jouissance révolutionnaire, 2004-2005. 2e version.
Gyan Panchal
— RGB, 2004. Plexiglas. 1m2 environ.
— PAN, 2004. Peinture murale, bombe aérosol noire. Dimension variable.
— ECA, 2005. Polystyrène expansé. Dimension variable.
— NEEL, 2003. Corde polyéthylène fluorescente. Dimension variable.
Boy & Erik Stappaerts
— Coulorcabinet, 2004. 124 x 28 x 2002 cm.
— Worktable, 2003. 208 x 45 x 140 cm.
— Hihopdancefloor, 2004. 204 x 78 x 0,4 cm.
— 9 photos. Dimension variable.