Par Pierre-Evariste Douaire
Pierre-Evariste Douaire. Parlez-nous de votre exposition « Sculptures automatiques« , à la galerie Emmanuel Perrotin.
Xavier Veilhan. L’exposition à Paris est une alternative à celle qui se tient à Strasbourg. L’exposition scénographiée, enchâssée dans le Musée d’Art moderne et contemporain, cède le pas à un autre registre. Tout part du sol, les sculptures n’ont plus de socle, elles sont au même niveau que le spectateur, elles partagent avec lui le même espace tant physique que symbolique. La circulation est différente, la pénétrabilité plus grande.
Une machine-outil, utilisant des scanners 3D, a réalisé vos sculptures. Pourquoi utiliser ce registre?
Scanner une personne revient à la regarder. Le scanne s’apparente au regard. Il y a beaucoup de similitudes entre les deux. L’obtention d’un relevé 3D passe par l’émission d’un rayon laser. Le balayage m’intéresse car il implique un aller-retour. L’impact du rayon implique obligatoirement un retour. L’émission induit un rapport de distance et de temps. Le bombardement laser devient une cartographie, il calcule des distances et référence le modèle, il l’identifie, le mesure, lui assigne une place dans l’univers. Il devient localisable.
Le rôle de l’art est analogue, il consiste à pouvoir se situer dans le temps et dans l’espace. L’art doit faciliter l’appréhension du réel, permettre l’accession à l’intelligibilité du monde. Une pièce est réussie quand elle parvient à expliciter le monde chaotique dans lequel nous vivons, elle est réussie si elle permet la compréhension cohérente de l’univers, elle n’est pas un système mais un moment de synthèse.
Comme Duchamp pour qui « tout écart est une opération », vous travaillez sur les écarts. Quels sont les écarts dans les Sculptures automatiques?
Les sculptures sont authentiques, elles sont le fruit de relevés précis et scientifiques, elles sont incontestables, mais en même temps elles soulignent tout ce qui leur manque pour être en prise avec la réalité, que ce soit la couleur, le mouvement, l’échelle. Elles perturbent la réalité, elles la rendent plus pénétrante. Elles ont une autorité sur le réel. Les spectateurs paraissent géants à côté d’elles. Le jeu d’échelle qu’elles imposent remet en question leur taille. La sensation est étrange. Elles misent sur la contradiction qui existe entre leur présence et leur illusion. Elles sont incontournables, presque réelles, et, d’un autre côté, elles sont la preuve d’une impossibiltié. Rhinocéros déjà jouait sur ce registre de proche et de lointain, de réel et d’irréel.
Quel doit être le but d’une exposition à vos yeux?
L’exposition doit être un minimum corrosive, en tout cas elle doit amener chacun à s’interroger sur le fait de regarder. Mes propositions jouent avec les habitudes perceptives du public, elles sont là pour provoquer des tensions.
La production d’œuvres n’est qu’une étape pour vous, ce qui compte c’est ce qu’il y après?
La pièce n’est qu’un moment dans un continum, elle cristallise une forme particulière, en ce sens, je suis assez proche des artistes conceptuels. Sa concrétisation n’est que la somme de possibilités. La rencontre des contraintes techniques, financières, technologiques et temporelles laisse très peu de place à la liberté. C’est en combinant tous ces facteurs que l’œuvre peut naître. Je n’exploite ni ne décline à l’infini les possibilités techniques. Mon approche est plus horizontale que verticale. Je ne fétichise pas les techniques. Je les combine. Je suis dans la transversalité. Cette attitude n’est pas du dilettantisme, je reste très attentif à la technique et à son potentiel. Elle reste un outil mis au service du projet final.
Êtes-vous un artiste de la « post-production » comme le définit Nicolas Bourriaud, c’est-à -dire travaillant sur le déplacement, l’appropriation, la sélection et le retraitement?
Les expositions sont des œuvres en soi. Les pièces sont des poupées russes, elles sont à la fois dépendantes et autonomes. Mon travail consiste précisément à mettre en présence toutes ces entités afin de proposer une expérience globale. La confrontation avec le visiteur est un moment capital. J’y pense constamment pendant l’élaboration des œuvres. Tout le processus autour de la production m’intéresse en tant que tel. La présence physique du premier spectateur avec l’œuvre marque l’arrêt du processus de fabrication. Pour filer une métaphore scientifique, on peut dire que leur rencontre est d’ordre chimique. J’aime provoquer ce genre de réactions.
Pourquoi vous qualifie-t-on d’artiste high tech? Vous utilisez des techniques modernes, certes, mais à la porté de tous.
J’utilise la technologie dès qu’elle devient grand public, je suis dans le lowtech. A part certaines pièces comme les Light Machines, qui nécessitent des développements spécifiques, j’aime utiliser ce qui existe et qui se trouve à portée de main. Je ne connais pas précisément les outils que j’utilise, en revanche je fais tout pour rapprocher des domaines de compétences éclatés. Je travaille autant avec des artisans qu’avec des ingénieurs. Le tout est au service d’une seule et même démarche. Je me borne à établir des passerelles entre tous ces savoir-faire. Pour reprendre la comparaison avec la chimie, on peut dire que je mets en présence des éléments différents afin de provoquer des réactions. Mon mode de production est analogue à mon mode d’exposition.
Très souvent vos œuvres se cachent derrière leur évidence. Ce que vous donnez, vous l’enlevez aussitôt.
Très souvent mes travaux ne sont pas directement visibles. Leur accès nécessite un contexte, une attitude. L’utilisation de filtres numériques sur les photos ou la pixellisation des sculptures sont des écrans indiquant qu’il y a quelque chose de caché derrière. Pour être précis, les retouches 3D ne sont pas des pixellisations mais des voxellisations, elles permettent la création de volumes à facettes, comme dans Le Lion [contraction de volumetric et de pixel, le voxel est un pixel en 3D]. Ces filtres, ces écrans matérialisent mon impossibilité à comprendre le monde. Même si je parviens à en extraire des éléments, je reste complètement dépourvu. Même les éléments extraits de la réalité n’ont été traités que d’une façon parcellaire. Les sculptures se concentrent sur certains points seulement, elles ne rendent pas compte de l’expérience totale, loin d’être exhaustives elles brillent par leur incomplétude.
Pourquoi y a-t-il autant d’images en mouvement chez vous?
La réalité est un processus dynamique, elle se confond avec l’expérience d’un voyage, d’un trajet. Même quand les choses sont fixes, immobiles, l’homme ne peut s’empêcher de se mouvoir. Cet aspect est rappelé dans chacune de mes œuvres. Le mouvement apparaît souvent sous l’aspect particulier de la boucle, comme le montre les Machines tournantes, les films en boucle, les formes rondes et circulaires.
Vous vous mettez en scène dans beaucoup de travaux : Xavier à la plage ; Naked Men, Deux borgnes Xavier et David… Quel est votre rapport à l’autoportrait?
Je ne considère pas du tout ces travaux comme des autoportraits. J’utilise mon corps comme un instrument. C’est très pratique et très rapide de travailler avec. Je n’ai pas besoin d’aide extérieure. Si je peux faire l’affaire autant ne pas se compliquer la tâche. J’obtiens le même résultat qu’avec quelqu’un d’autre. Le scanne de mon corps est un matériau comme les autres. Mais, en même temps, je trouve très bien d’être dans l’image. Symboliquement c’est tout aussi important d’être présent derrière que devant, avant et après la réalisation des œuvres.
L’autoportrait implique un aspect psychologique qui reste étranger à ma pratique. L’introspection n’est pas présente dans mon travail. Les titres de ces travaux ne mentionnent jamais mon nom, mais juste mon prénom. J’avoue cependant céder à la curiosité d’essayer de me connaître. Les pièces posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. Elles permettent de formuler cette interrogation de base: qui suis-je? Personne ne se connaît vraiment, chacun d’entre-nous reste un mystère pour lui-même. Je n’échappe pas à ce dilemme, mais il n’y a pas de volonté d’analyse chez moi. En tout cas, elle n’est pas consciente.
Pourtant ces travaux appartiennent au genre de l’autoportrait?
La question de l’autoportrait ne m’intéresse pas en tant que telle, je suis beaucoup plus attiré par le fait de devenir un de mes propres modèles.
Connaissiez-vous Huyghe et Closky, alias les Frères Ripoulin, quand ils peignaient dans la rue?
Je connais très bien cette époque, nous étions aux Arts Déco ensemble. A l’époque, j’étais à Berlin, tous mes copains participaient à cette aventure. Je n’étais pas jaloux, mais déçu de ne pas faire partie du groupe, il y avait des gens très intéressants qui le composaient.
Vous avez mis des peintures sur des panneaux publicitaires à l’époque?
Oui, tout à fait. Je n’ai pas fait ça longtemps. Par contre, j’ai participé à des accrochages à New York chez Shafrazi, toute la scène artistique du moment s’y côtoyait, de Keith Haring à Kenny Scharf, en passant par Warhol et Basquiat. C’est difficile à résumer comme ça, mais cela représente toute une époque. Je suis très à l’aise avec ce passé, sans le revendiquer je pense qu’il fait partie de mon parcours. Il ne m’intéresse pas artistiquement et je reste assez éloigné de ces souvenirs. Toutefois, en tant que documents chroniquant un instant, ils restent intéressants et pertinents à montrer.
Cette expérience urbaine a-t-elle été formatrice chez vous ? Est-ce que cette aventure vous a inspiré les Light Machines?
Les Light Machines ne sont pas inspirées des panneaux d’affichage, elles ne proviennent pas de mes expériences urbaines précédentes. Par contre, pour les réaliser, j’ai bien regardé les dispositifs lumineux des champs de course et des terrains de football.
Les vitrines sont-elles des espaces d’exposition importants pour vous? je pense à la présentation de Rhinocéros au magasin Yves-Saint-Laurent de New-York.
Non, il n’y a pas de préméditation de ma part. J’ai juste répondu favorablement à une sollicitation. Comme je vous le disais au début, la réalisation d’une pièce est le résultat de plusieurs facteurs. Un certains nombre de paramètres provoquent l’œuvre. Vous appelez ça une vitrine, mais eux l’avaient présenté comme un espace d’exposition. Cette partie du magasin est une sorte de show room artistique. Mais prochainement je vais travaillé pour le Grand Palais et les questions de transparence ne vont pas manquer de se poser.
Comment a commencé votre aventure à la galerie Jennifer Flay, au début des années 1990?
Jennifer m’a parlé de son envie de monter un espace, j’ai répondu favorablement à sa sollicitation avant l’ouverture. La galerie affichait une ambition internationale. Je souscrivais totalement à ce programme.
Comment avez-vous rejoint la galerie Emmanuel Perrotin?
Je suis parti de chez Jennifer Flay quelque temps avant sa fermeture. Je suis resté un bout de temps sans galerie, cela me convenait bien. Emmanuel Perrotin connaissait mon travail depuis très longtemps, c’est ce qui m’a décidé à travailler avec lui.
Comment êtes-vous perçu à l’étranger?
Je ne sais pas très bien, mais cela fait plus de dix que j’expose hors de France. Je suis représenté dans plusieurs galeries que ce soit à New York, Stockholm ou Milan.
En ce moment vous faites l’événement.
La presse généraliste me prête attention, j’ai été interviewé par Elle et 20 Minutes. Au-delà de ma personne, cette tendance révèle bien le changement d’état d’esprit ambiant. Peu de personnes s’en rendent compte, mais le public s’élargit, il n’est plus du tout le même qu’il y a encore dix ans. C’est assez frappant et cela laisse espérer un renouveau pour l’art contemporain.
English translation : Rose Marie Barrientos
Traducciòn española : Maï;té Diaz Gonzales