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Wrap me up in you, Get the bones from 88 Jones

Esthétique kitsch pour stéréotypes iraniens. C’est ce à quoi semblent à première vue se résumer les œuvres de Nargess Hashemi, présentées pour la première fois à Paris. Mais à mieux y regarder perce une vision désabusée d’une part de la société iranienne, enlisée dans le confort de la tradition.

Sur de larges panneaux rectangulaires recouverts d’un tissu clinquant, richement brodé ou cousu de paillettes, Nargess Hashemi a fixé une feuille de plastique transparente sur laquelle se découpe une scène d’intérieur tracée au marqueur noir. Les deux surfaces à la fois contrastent et se font écho: le dessin monochrome, proche de la bande dessinée, répond par sa propre surabondance décorative à celle du fond, tapissé de motifs kitsch colorés. Les scènes représentent généralement des cérémonies de mariage. Leur composition comme leur hiératisme indiquent que Nargess Hashemi travaille d’après des photos, qu’elle réalise elle-même de sa famille.

Dans une première scène, les époux vêtus à l’occidentale sont assis sur un sofa, avec selon la tradition iranienne une tenture déployée au-dessus d’eux par les convives. Devant eux, sur un meuble bas, est posé le Coran. Dans une seconde, le couple assis à gauche fait face à un buffet luxueusement orné d’une nappe étoilée, de compositions florales surmontées de colombes, de corbeilles de fruits. Au sol sont posés des jarres et des coffres décorés. À gauche se tient la famille. Une jeune fille en jupe courte attire des regards réprobateurs. Nul sourire. Les personnages sont frappants de mutisme. Loin de l’apparente gaieté que voudrait évoquer le décor, l’atmosphère de ces scènes est en réalité pesante, privée de vie. Quelque chose sonne faux. Ou creux. Et l’éclat métallique des paillettes, paradoxalement, ne fait que renforcer cette froideur.

Même lorsqu’ils affichent des sourires, comme dans cette scène où les convives posent face au spectateur, comme pour une photo, les personnages sont inconsistants, sans profondeur ni réelle expressivité. Comme si l’artiste opérait une mise à distance de ce monde clos sur lui-même, isolé dans l’illusion d’un bonheur construit et stéréotypé. Comme si deux voiles superposés venaient s’interposer entre ces scènes de réjouissance privée et la réalité: le premier — brodé ou pailleté — apparaissant comme l’image idéale d’un faste qu’on voudrait inébranlable; le second — cernant de noir des personnages vides — comme le reflet d’une triste illusion.

Au moment même où Nargess Hashemi prenait les photos qui lui serviront à dresser ces portraits de famille, durant l’été 2009, des émeutes éclataient dans les rues d’Iran pour dénoncer la réélection controversée de Mahmoud Ahmadinejad. À l’écart de ce chaos, les scènes de fête à huis-clos transcrites par l’artiste semblent sourdes à la réalité du pays. Nargess Hashemi prit un temps part aux manifestations de Téhéran, avant que les pressions de son entourage ne la forcent à regagner le giron familial.

Troublante coïncidence: pas moins de cinq mariages eurent lieu dans sa famille durant cette période. Les œuvres qu’en a extraites l’artiste nous ouvrent les portes d’un pan de la société iranienne qui, à la nécessité du changement, préfère le repli sur une tradition léthargique. Il est toujours plus aisé, nous le savons aussi, de s’anesthésier dans le confort insulaire des coutumes, que de se confronter à la réalité sans paillettes du monde.

Il est également question de mise à distance de la réalité dans la seconde partie de ce «double solo show». Au sous-sol est présentée une courte vidéo de Lauren Kelley, réalisée en stop-motion (image par image) à partir de poupées Barbie afro-américaines et de pâte à modeler. Cette animation construit un univers oscillant entre esthétique populaire et fantastique. Tout y est miniaturisé, parfaitement recomposé, mais une atmosphère étrange s’en dégage. Le détournement de l’imagerie enfantine tout comme la rigidité des mannequins provoquent un sentiment de curieuse irréalité, que vient renforcer l’intrusion brutale d’éléments plus cauchemardesques qu’oniriques.

Le scénario, à la fois banal et surréaliste, se construit à partir de clichés de la société actuelle. Une jeune bibliothécaire rencontre un jeune homme qui la séduit; vite délaissée, elle découvre que celui-ci collectionne les aventures amoureuses. De déceptions en désillusions, la jeune femme dévoile des pouvoirs surnaturels qui la rendent plus effrayante qu’attirante.

Structuré à la manière d’un soap-opéra, ce court récit s’achève de manière aussi brutale que dramatique. Par la mise à distance que permettent l’animation vidéo et l’emploi de poupées emblématiques du rêve américain, Lauren Kelley interroge certains préjugés en matière de race et de genre.
Un univers caustique à découvrir, qui explore de manière grinçante les rapports homme/femme et les stéréotypes de la féminité, corroborés dès l’enfance par l’imagerie populaire.

— Nargess Hashemi, Sans titre. Marqueur indélébile sur toile transparente sur tissu
— Lauren Kelley, Get the bones from 88 Jones. Film d’animation 6 min 41

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