Koenraad Dedobbeleer
Workmanship of Certainty
Sculptures dysfonctionnelles
Chaque œuvre se présente tout à la fois comme un objet quotidien, issu de la sphère domestique (pièce de mobilier, ustensile, outil), et un objet esthétique, répondant aux critères du design et de la sculpture: tables, cloisons ou colonnes sont démesurément agrandies ou encore démantelées pour être reconstruites différemment.
Il en est ainsi de l’œuvre The Subject of Matter (For WS) (2010), entre colonne et fontaine, à la fois massive et portative, doublement paradoxale; ou de Tradition is Never Given, Always Constructed (2012), reproduction monumentale de pieds de tabouret tubulaires d’une grande banalité, peints dans des tons délicats de rose et blanc cassé, autant de déplacements ironiques qui les font osciller entre le statut de mobilier et celui d’œuvres d’art. La chaleur du poêle, la flamme du réchaud (Political Economy of the Commodified Sign, 2012), l’eau de la fontaine, le buis taillé en topiaire relèvent d’une appropriation de la nature par l’agrément, tandis que des objets manufacturés se disloquent pour se convertir à l’état sauvage.
Avec beaucoup d’ironie, ses objets sont indécis, et provoquent de multiples associations d’idées; Koenraad Dedobbeleer crée des «sculptures dysfonctionnelles», des pièges de la perception qui nous invitent à réévaluer nos propres critères de compréhension des formes et de leurs origines culturelles.
L’exposition «Workmanship of Certainty» est le second volet de la trilogie commencée à Saint-Gall et qui se conclura à Middelburg. Si le choix des œuvres et leur agencement est spécifique à chaque lieu, il s’agit d’un projet global, dont le point d’origine commun est le livre d’artiste Œuvre sculptée, travaux pour amateurs (Roma Publications, 2012). Sorte de marabout visuel non-chronologique, cette édition rassemble des images d’œuvres d’art, de pièces de mobilier ou d’éléments architecturaux formant une sorte de répertoire de références historiques, un manuel des pratiques et usages des objets du quotidien, qui sont autant de clés de lecture de ces trois expositions.
Travaux pour amateurs
Toujours chez Koenraad Dedobbeleer, les titres des œuvres ou des expositions n’ont pas de rapport direct avec l’objet qu’ils recouvrent. Sous forme d’aphorismes absurdes, ou de considérations théoriques sur l’art ou la culture, exagérément pompeux, ils n’éclairent pas la compréhension des œuvres. Bien au contraire, ajoutant une couche de commentaire, ils jouent avec humour de notre réflexe de vouloir expliquer l’objet par le texte.
Pourtant le titre de l’exposition nous renseigne sur les préoccupations de l’artiste: la formule «Workmanship of Certainty» (à la fois intraduisible et polysémique) semble établir un lien d’analogie entre le savoir-faire manuel, nécessaire à l’accomplissement de la forme, et la connaissance. Comme l’artiste le précisait lui-même en exergue d’un précédent ouvrage, «la réflexion est un travail manuel et une tâche concrète»; autrement dit, le processus de fabrication est un mécanisme de culture.
Les œuvres pour Koenraad Dedobbeleer sont toujours inextricablement liées au lieu et à la façon dont elles sont exposées. Pensées comme des «outils pour lire l’espace», leur conception, leur choix et leur agencement sont fortement influencés par le poids historique et architectural du lieu d’exposition. Tantôt connectant deux espaces, soulignant un volume, structurant des zones de circulation (tel le paravent Too Quick to Dismiss Aesthetic Autonomy as Retrograde, 2012) ou ménageant des zones de repos et de sociabilité (les nombreux sièges, bancs et tabourets), ses oeuvres désacralisent la fonction attendue d’un espace d’exposition. En lui attribuant des usages potentiels (de l’ordre domestique ou du loisir), elles mettent en doute le projet moderniste de l’institution comme espace neutre, hors du monde.
Tout en revisitant sur un mode tragicomique les grands enjeux du modernisme (allier fonctionnalité et esthétique), les œuvres de Koenraad Dedobbeleer témoignent aussi d’une relecture matérialiste, antihéroïque, de la sculpture minimale et conceptuelle. Réfutant toute interprétation univoque, son langage, avant tout formel, examine les relations entre un objet, son aspect et son usage, et par-là même entre espaces publics, privés et lieux d’exposition.