Par la force des choses, il faut reconnaître que L.F.D.A. est une manifestation qui a suscité bien des polémiques, des controverses, des débats, politiques (y aurait-il un art Ump, comme on a eu autrefois un « réalisme socialiste » ? A-t-on affaire à la préfiguration du Palais de Tokyo ?), économiques (l’art officiel français résistant au marché dominé par les Américains) et même sexuelles (on a dénoncé la représentation des femmes, réduite à la portion incongrue de 16%, dans cette manifestation, comme dans pratiquement toutes les autres, alors que 60 % des diplômés des écoles de beaux-arts en France sont, paraît-il, des femmes).
Malgré cela, ce nouveau type de salon de peinture n’a pas du tout été le succès escompté en termes de fréquentation. Ce qui, après tout, pourra-t-on nous répondre, ne veut rien dire. En semaine, le jour J de notre visite, à 17h, on pouvait, à vue d’œil ou de nez, compter plus de caissiers, de gardiens, de personnel d’accueil, de « médiateurs culturels » que de visiteurs. Ce qui, sans doute, encore une fois, ne signifie pas grand chose, mais qui est tout de même, qu’on le veuille ou non, dommage… Ce gâchis crée un certain malaise et l’ambiance, sur place, s’en ressent.
Cet aspect de désolation est renforcé par le fait que les œuvres paraissent elles aussi perdues dans l’immensité du cadre. Mais que peut-on faire d’autre pour animer ce monument qui a dû, autrefois, avoir une utilité et qui a été récemment restauré ? Une serre à maïs bio ? Une orangerie ? Un bronzarium ?
Les uns et les autres se sont donc livrés à toutes sortes de discussions à propos de cette manifestation initiée par le ministère de la Culture, en faisant, peut-être, l’économie d’une réflexion sur la qualité esthétique des œuvres ou des « pièces » (dans le jargon l’A.C.) sélectionnées. Malgré le goût moyen qui résulte souvent de la multiplication et de l’irresponsabilisation des « commissaires », force est de constater que les artistes retenus sont, sinon révolutionnaires, du moins dignes d’intérêt. Certaines des « propositions » que nous avons observées de près étaient même plus que convaincantes.
Parlons peu et parlons bien. On n’était pas venu là pour cela, après tout, on était venu pour voir le défilé, comme disait Boris Vian. Ou, plus exactement, pour assister à la « performance » artistique de Jake qui, malgré son nom, est une femme.
Derrière une table, deux Macs (on veut parler de deux portables de marque Apple), des mixettes, divers boîtiers et un clavier, reliés par des câbles à quatre hauts parleurs. S’assoient deux garçons qui vont manipuler tous ces gadgets durant une soirée qui a la particularité d’avoir lieu l’après-midi. Jake, hiératique, donne l’impression d’avoir le trac ; elle arrive jusqu’au-devant de la scène, une mallette à la main, au bas de l’escalier de gauche quand on regarde la cafétéria, autrement dit l’escalier menant aux galeries sud-ouest, près de ce qui était en 1900 un «paddock».
Les deux musicos diffusent les « nappes » sonores que Jake a programmées pour cette soirée, des notes tenues, des effets divers et aussi d’été — des aberrations audio et des réverbérations. La femme à la valise vide alors son sac et en sort des parallélépipèdes rectangles en métal. Un camarade de jeu se met à prendre les mesures de ces objets et de l’espace environnant à l’aide d’instruments d’écolier : une règle et une équerre en matière plastique et un mètre ruban rétractable. Il toise tout ce qui bouge.
Certains hexaèdres sont lumineux comme les petites visionneuses de diapos ; les pièces sont de différentes tailles. Le comparse éclaire ce puzzle à l’aide d’une lampe torche. Jake bâtit son muret ou son château en Espagne — tout ce qu’il y a de plus instable. Son comparse fait mine de prendre des photos avec un compact numérique — peut-être en prend-il réellement, cela ne coûte pas plus cher, après tout.
Arrive le moment du solo de trompette de Macdara Smith qui sera accompagné par le chantonnement de Mrs Jake. Plus tard, le jeune gens en poussera une, en engliche, dans son beau micro Sennheiser ; il chantera narcissiquement avec lui-même, c.à .d. en s’entendant et s’accordant au mieux avec sa propre voix diffusée live et en écho, avec un très léger décalage ou delay — façon basse continue.
Les deux actionnistes transbahutent des toiles blanches qui serviront d’écrans pour de la vidéo-projection d’un clip qu’il est difficile d’apprécier, comme il s’eût dû, alors qu’on baigne dans la lumière du plein jour, dans lequel on distingue des fillettes qui grattent le sol et qui poussent un cri en découvrant un trésor qui s’y trouvait enfoui.
Macdara Smith s’approche du micro central pour nous faire la lecture d’un texte qui tente de définir la notion de performance idéale au moyen de couples antagonistes (« ni trop courte, ni trop longue, ni trop bête, ni trop intelligente, etc. »). Le partenaire de Jake se met à lire, lui aussi, en l’occurrence, le cours de la bourse que donne le quotidien économique Les Échos, valeurs qui, comme par hasard, sont toutes à la baisse en ce banal jour de crise et qui, par conséquent commencent toutes par « moins » suivi d’un chiffre.
Les acteurs, jusque-là en tenues sobres et sombres, se changent, certains à vue. Le quatuor se retrouve en toilettes estivales. Nous abordons alors le deuxième acte de la pièce. Jake porte un grand tablier ciré, immaculé, avec lequel elle obtiendra divers effets visuels. Son partenaire joue avec les pans de ce vêtement et en fait un éventail. Il soulève ce survêtement, dévoile le bas du corps mais occulte un instant le minois de la blonde. Le cache-poussière devient une surface écranique sur laquelle on projette, tant bien que mal, des images vidéo.
Le couple se sépare et Jake monte à reculons le grand escalier. Le moment du détachement du duo, gestuellement, dramatiquement et même musicalement (la bande-son abonde à ce moment-là d’éléments naturels, de bruissements et de bruits « concrets »), nous fait songer au pas de deux entre Maurice Béjart et Michèle Seigneuret dans Symphonie pour un homme seul.
Les tâches sont exécutées avec sobriété. Avec élégance et retenue. La gestuelle et la mise en scène se réduisent à leur minimum expressif. On est ici dans une vision apollinienne de l’art, en aucun cas dans la force de l’âge — dans le forçage dionysiaque.
Jake et Olivier Balazuc soulèvent un carton rempli de gaines industrielles qui font dans les deux mètres de long, des tubes mous et ouverts sur toute leur longueur, d’un beau bleu, apparemment en polyuréthane expansé. On déverse le contenu de la caisse et les baguettes dévalent en douceur dans l’escalier monumental. Tout le monde veut jouer avec ces éléments nouveaux. Les uns recouvrent les rampes d’escalier de ces gros bâtons en mousse, les autres s’emploient à protéger les angles des colonnes porteuses de la structure palatiale. On entasse les sticks savamment, artistement, avec délicatesse, comme dans une partie de mikado se déroulant à rebours.
Le silence se fait alors. La sculpture semble prête. On la soulève à plusieurs, comme un trophée. Avant de tout laisser tomber, de guerre lasse.
Acteur et metteur en scène : Olivier Balazuc
Musicien et designer sonore : Tony Houziaux
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