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WK Interact

Wk Interact est un artiste français réputé à travers le monde. Expatrié à New York depuis quinze ans, il fait partie des personnes ayant réussi à renouveler le graffiti grâce à l’affiche. Ses personnages en noir et blanc, cagoulés et armés, sont aussi violents que la mégalopole américaine est vivante.

Par Pierre-Evariste Douaire

WK Interact a exposé en France sur les vitrines de Colette et des Galeries Lafayettes. Il place dans la rue ses personnages noirs sur fond blanc. Consacré à New York et exposé dans le monde entier, il revient en France pour un projet spécialement conçu pour Addict Galerie.
Double impact se tiendra du 16 mars au 17 avril 2007, dans ce nouvel espace consacré principalement aux artistes post-graffiti.

Pierre-Evariste Douaire. Peux-tu nous parler de tes personnages?
WK Interact. Placés dans la rue mes personnages racontent des histoires. Ils obligent les piétons à se poser des questions. Que se passe-t-il? Où suis-je ? Ils sont toujours en mouvement, ils indiquent toujours des directions. Ce sont des saynètes qui s’additionnent les unes aux autres. Elles forment un récit parcellaire que chacun peut reconstituer. Je montre toujours le paroxysme d’une action. Je pointe toujours un moment précis. A chacun, ensuite, d’y aller de son interprétation pour savoir ce qui a précédé, et ce qui va découler de tout cela.

Tu les représentes souvent cagoulés, ce sont des criminels, des terroristes?
Je m’adapte aux lieux que j’investis. Expatrié depuis quinze ans à New York, j’ai pris le rythme de cette grande ville qui autorise et interdit certains thèmes. La violence y est autorisée, elle ne choque personne. Mais en utilisant les codes américains je ne me sens pas violent pour autant. Malgré les cagoules et les flingues, tu ne verras jamais une flaque de sang ou un coup échangé dans mes travaux. La vraie violence est ailleurs. C’est une question de point de vue. Il serait choquant par exemple de représenter un corps nu alors qu’ici la sensualité s’affiche sur toutes les affiches publicitaires. Ce genre de chose serait inimaginable à New York.

Tes personnages recouvrent les murs, ils ressemblent à des ombres.
Je ne trouve pas. Leur rôle est de surprendre les passants. Ils doivent être remplis d’émotions. L’image doit s’adapter au lieu et s’affranchir du cadre qui lui est assigné pour être là naturellement. Il ne faut pas que le personnage soit plaqué. Il doit se substituer au flux de la ville.

Quel rapport tes personnages entretiennent-ils avec la rue?
Je recherche des coins de rues pour glisser mes personnages. J’entretiens une relation très étroite avec la ville. Elle me permet de créer mes histoires. Elle est le terreau fertile que j’utilise pour élaborer mes saynètes. Ces coins de rues sont des story boards qui se superposent les uns aux autres.

Pourquoi exposer dans une galerie?
Après avoir oeuvré pendant de longues années dans la rue, après avoir cherché la réussite à New York, exposer en galerie est un nouveau défi. Le challenge consiste à être aussi bon à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ce n’est pas évident et beaucoup d’artistes se cassent les dents. Cet exercice est périlleux, et même les meilleurs s’en mordent les doigts.
L’apprentissage par la rue permet de penser les lieux d’une manière très fine. Mais le passage en galerie réduit la fluidité de mes projets. Préoccupé par les notions de mouvements, j’ai du mal à exprimer la même force dans une galerie. La fureur de la ville m’aide énormément dans la rue, elle amplifie mes installations.
A l’opposé, un lieu d’exposition est beaucoup plus calme et il faut redoubler d’effort pour insuffler de la vie et du mouvement dans les images. Travailler in door reste un gros problème. Il faut beaucoup de temps et de maturité avant de pouvoir avancer des projets cohérents. J’ai tendance à entrer par effraction dans ces lieux magnifiques, un peu à l’image de ma première expérience dans le domaine.
Pour l’anecdote j’avais refusé de peindre le mur immense de la galerie. Je m’étais contenté de faire un trompe-l’œil sur la vitre de la porte. Mon personnage était à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Sans être un leitmotiv, je poursuis dans ce sens en privilégiant toujours ce double aspect des choses quand j’investis un lieu d’exposition.

Tu travailles toujours in situ?
Pour le projet de la galerie Addict, j’ai tout de suite été attiré par le lieu. L’espace est situé à l’angle de deux rues. Elle s’offre facilement aux regards des piétons. Une grande baie vitrée la ceinture. La frontière entre l’intérieur et l’extérieur est aboli. Intervenir en plein Marais est une expérience intéressante. C’est une situation assez unique, car les personnages dessinés sur les murs semblent être placés à l’extérieur. Il faut un moment d’attention pour comprendre le dispositif mis en place.

Pourquoi choisir d’abord la rue pour exposer?
Pour toucher des gens qui ne vont pas forcément dans les galeries. La liberté et la gratuité du geste ont beaucoup joué dans ma démarche. Mais pour autant, travailler dans le milieu urbain ne se résume pas à troquer sa toile pour des murs. La ville est une matière vivante, c’est un corps sensible qu’il faut appréhender. Chaque quartier, outre son architecture, est habité par des habitants et traversé par des piétons. Ce tissu urbain est fascinant à observer. Agir dessus l’est encore davantage. Les gens qui passent devant mes œuvres, dans la rue, prolongent mes histoires en emportant avec eux leurs questions. Leur imagination emporte ailleurs les silhouettes que je pose un peu partout.

L’aspect éphémère de tes actions est important à tes yeux?
J’aime que le papier travaille, qu’il se désagrège au fur et à mesure. Le temps s’invite dans mes interventions en patinant l’image. Cette évolution est très intéressante à suivre. Après avoir collé une affiche, je reviens plusieurs fois après pour suivre son chemin.

Tu es Français, mais tu es très rarement visible à Paris, excepté la réalisations de la vitrine Colette et celles des Galeries Lafayette.
Colette était une super opportunité. La collaboration avec les Galeries Lafayette, s’est malheureusement soldée par une incompréhension mutuelle. J’avais la chance de travailler sur quinze vitrines à la fois. J’ai complètement intégré la ville dans les vitrines. Je ne me suis pas contenté de scénariser des jupes et des accessoires, j’ai totalement réinventé les vitrines. La direction a été terriblement déçue, alors même que les jeunes et les touristes étrangers adoraient le concept. Mais je pense que les Galeries Lafayette ont dix ans de retard sur les autres enseignes. Je le dis d’autant plus volontiers que mon père, dans le passé, en était le directeur général. Colette, Zara par contre sont en avance et continuent d’être à la pointe de la mode. Leurs vitrines en sont la preuve.

Tu en tires une leçon?
Je voyage énormément dans le monde et cette expérience me donne beaucoup à réfléchir sur les Français et sur la mentalité du pays. La France est préoccupée par son confort et sa qualité de vie. Elle préfère critiquer que créer. Le résultat ne se fait pas attendre. Les créateurs s’exilent et trouvent ailleurs les moyens qu’on leur refuse ici. Ils sont obligés de le faire car les Français préfèrent donner leurs chance à des étrangers. On voit toujours les mêmes artistes dans les expositions. C’est lassant à la longue, même si on apprécie les artistes.

New York est plus dynamique?
Ce qui se passe actuellement à New York est incroyable. Les artistes des années 1980 comme Keith Haring, Basquiat, ou Futura 2000 sont célèbres depuis longtemps. Le plus étonnant aujourd’hui est la demande qui entoure les nouveaux artistes. Le phénomène n’est pas qu’américain, mais s’étend à toute l’Europe. Les grandes galeries new-yorkaises comme le MoMa s’interrogent sur le Street Art. Le Whitney Museum, le Moma ont des espaces gigantesques. Les galeries n’ont rien à voir avec les petites galeries du Marais. Les visiteurs pour un vernissage sont 8 000. La presse relaie l’événement et les retombées sont à la hauteur de l’engagement. Ces musées s’ouvrent aux jeunes street artistes. En Angleterre trois artistes se disputent le marché et des petites toiles s’envolent à 120 000 euros. Paris, comme à son habitude, se contente de regarder passer les trains.

L’intérêt pour le Street Art est un phénomène de mode?
L’effet de mode est passé et un vrai marché se met en place. La critique emboîte le pas et des essais sont consacrés au genre. Cet état de fait oblige les musées à venir nous chercher, car ils sont pragmatiques. Ils se demandent si ce courant est digne d’intérêt. Pour ne pas perdre ce marché colossal, ils invitent des artistes encore plus jeunes que moi à exposer. Le marché est tellement énorme, la pression des collectionneurs est si forte qu’ils ne peuvent pas se permettre de laisser passer l’occasion. Ils préparent l’avenir. Ils ne veulent pas louper le coche. Les enjeux financiers sont à la hauteur de l’énergie créatrice de l’art urbain. Ce courant est international. Mais personne n’est dupe, il s’agit d’un pari sur l’avenir. Le choix peut se révéler payant ou pas. Les anglo-saxons ne sont pas idiots, ils investissent aujourd’hui mais n’hésiteront pas à tout arrêter si l’expérience est décevante économiquement.

Comment expliquer l’ampleur du phénomène ?
La facilitation de l’information, la diffusion en masse de tous ces visuels entraîne dans son sillon un véritable engouement planétaire pour l’art urbain. Ce phénomène n’est pas perçu en France. Le monde de la mode n’est pas étranger à cet état d’esprit. Cette industrie soutient énormément les jeunes artistes. Les grandes enseignes de la mode ont besoin d’eux pour leurs logos. Elles ont besoin de rendre reconnaissable leurs baskets et leurs tee-shirts. Elles ont besoin des artistes pour vendre leurs produits. Peu importe que le logo soit sur le vêtement ou se fasse par le biais d’une campagne publicitaire. Pour prendre un exemple concret, aux États-Unis j’ai réalisé le fronton d’une banque en y peignant un skateur. En France ce projet n’aurait aucune chance de passer. Vous préférez vendre une voiture par l’intermédiaire d’une jolie fille. Chaque pays fonctionne avec ses codes publicitaires.

Si tu devais intervenir sur les murs de Paris, comment le ferais-tu?
Différemment qu’à New York. Formellement j’opterais pour un papier plus beige. Je renoncerais au blanc et noir que j’utilise en Amérique. Le marron me semble mieux convenir aux pierres de Paris. L’effet craquelé, la recherche de matière, le rocailleux caractérisent la capitale. J’aime le côté crasseux, modeste, pauvre d’un mur. Depuis que les murs sont nettoyés, protégés, la ville est aussi propre qu’une clinique, on frise Disney World. Les rapports culturels s’appauvrissent à la même hauteur je pense.

Addict Galerie
14/16 rue de Thorigny
75003 Paris
www.addictgalerie.com

www.wkinteract.com

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