Entre danse, film et théâtre, la pièce TrapTown (2018) du chorégraphe belge Wim Vandekeybus (Cie Ultima Vez) combine les procédés narratifs. Côté film, l’image courtise essentiellement le noir et blanc, épurée et magnétique dans ses portraits et plans larges. Côté scène, les danseurs sont en couleurs, en live, tout aussi magnétiques dans leur présence souple. Quant à la parole, elle est haute, distincte, faite pour adresser les publics. Entre épopée, tragédie et récit apocalyptique, voire post-apocalyptique, avec TrapTown, l’espace-temps se dilate autant qu’il se contracte. Dans une ville définie, située dans un monde indéfini, deux groupes s’opposent : les Mythriciens [Mythricians] et les Odinés [Odinese]. Thème atemporel, à la clôture de l’espace [trap-town : ville-piège] se substitue l’infini des conflits interhumains. Un groupe oppresseurs ; un groupe opprimé : le décor est planté pour le déploiement d’un nouveau mythe. Dans une épopée contemporaine mobilisant neuf interprètes démultipliés, sur une musique cinématographique — des Phoenician Drive et de Trixie Whitley.
TrapTown de Wim Vandekeybus : une histoire de danse, cinéma, théâtre, musique…
De West Side Story à David et Goliath, en passant par Antigone et Créon, Roméo et Juliette, Judith et Holopherne, ou encore Pâris et Hélène… Le motif de l’affrontement individuel sur fond d’affrontements collectifs hante les cultures humaines. Plan serré : deux personnes sont érigées au rang de symboles pour incarner la fracture de l’esprit collectif. Le mythe est l’antithèse de la sociologie quantitative. Le mythe place la personne au centre d’un culte exclusif, porté par une dynamique de décontextualisation. Avec TrapTown, les points de fuite sont ainsi savamment oblitérés. Sur le fond de la scène se déploie un film, qui raconte la ville, les conflits, l’histoire. Mais pour ne pas tomber dans le piège de l’horizon cinématographique, le film est projeté sur un grand labyrinthe à la verticale. Espace fortement contraint — co-réalisé avec le duo d’architectes Gijs Van Vaerenbergh —, les conflits et alliances y deviennent alors le centre de l’attention.
L’époque contemporaine, par le prisme de l’épopée antique, ou post-apocalyptique
Avec TrapTown, Wim Vandekeybus déploie ainsi une sorte d’œuvre totale. Qui demeure cependant pleinement circonscrite à la scène : impossible d’oublier les dispositifs narratifs. Au contraire. Et jonglant avec l’immensité des horizons d’attente (des films hollywoodiens à l’épopée homérique), Wim Vandekeybus découpe un fragment de l’époque. Car la culture contemporaine est ce patchwork médiatique. Qui n’a jamais regardé un film en discutant sur un réseau social tout en regardant ce qu’y postaient les autres ? La perception contemporaine est une superposition, une collision spatiotemporelle. Cinéma, théâtre, musique, danse… Comme un piège de l’attention, TrapTown reflète cet éclatement des modes narratifs. Mais en les faisant converger vers un même propos. Une histoire de luttes en quête de destinées mythiques. Reflet d’une époque qui étouffe (au sens littéral comme figuré), TrapTown fait circuler l’air par l’alternance — des textes (de Pieter De Buysser), musiques, danses, images. Pour une immersion étrangement actuelle dans l’éclatement contemporain.