Par Pierre-Évariste Douaire
Pierre-Évariste Douaire. Vous voilà avec une grosse exposition à Paris, vous pouvez nous en parler?
Wim Delvoye. Il fallait présenter de nouvelles pièces et surprendre les spectateurs. La maquette de la chapelle est un projet sur lequel je travaille depuis trois ans déjà . C’est heureux de pouvoir la présenter au public. Dès le départ Emmanuel Perrotin m’a encouragé pour faire aboutir le projet. Il a d’emblée été enthousiasmé par l’idée. Cette maquette est le pendant de la salle des cochons. Ces deux présentations laissent la part belle à l’imagination. Elles balisent un parcours qui permet de lire entre les lignes de mon travail.
La chapelle et les cochons, ce sont vos préoccupations du moment?
Je travaille toujours dans plusieurs directions différentes. Ce type d’installation se mêle à mes dessins, à la Farm Art en Chine, à des bronzes. Tout se mélange toujours. Je ne suis pas comme Picasso avec ses périodes bleues et roses. J’ai toujours sur le feu sept ou huit projets en même temps.
Disposer de salles de grandes dimensions, cela vous motive pour exposer à Paris?
Le lieu se prêtait à mon idée de départ. Il y avait un volume que j’avais envie d’exploiter. C’est toujours difficile de relever le défi que représente une grande sculpture, mais j’aime ce type de challenge, d’autant plus qu’il se révèle payant quand c’est réussi. Mais plus qu’un lieu j’ai trouvé ici un climat favorable et bienveillant pour accueillir mon travail. La salle où sont projetées les vidéos est un jolie cadeau que l’on m’offre, car je sais pertinemment qu’elles ne seront pas vendues. C’est en connaissance de cause que l’on m’a laissé faire. La vente n’est la finalité de la galerie, c’est ce que j’aime ici. C’est d’autant moins de pression à gérer.
C’est rare de voir des grandes pièces de vous, il faut généralement se déplacer dans les musées.
J’aime bien travailler sur des petits espaces aussi. C’est moins de travail à fournir. (Rires).
Les vitraux qui ornent votre chapelle sont nouveaux ou des anciens?
Ils existaient avant… Vous ne semblez pas le savoir, mais cette chapelle est en train de se faire. Un collectionneur me l’a commandée, il était auparavant propriétaire des douze vitraux qui vont agrémenter l’église. L’implantation se fera dans la campagne d’Anvers. La flèche de l’édifice culminera à 26 mètres du sol. La chapelle sera plus grande qu’une grosse maison.
Comment est née cette idée folle?
C’est moi qui ai proposé le projet au collectionneur. J’ai fait en sorte qu’il pense que l’idée était de lui.
Cette chapelle sera ouverte au public?
Oui, le collectionneur veut recevoir des invités.
Les seules œuvres à l’intérieur seront les vitraux?
Oui, mais s’il veut je peux encore faire des petites sculptures. Il y a encore beaucoup de travail. Cette maquette n’est que l’ébauche du résultat futur. Il reste des finitions à apporter.
Que voulez-vous obtenir comme résultat?
Le meilleur. Je veux faire la plus belle chapelle possible.
Vous allez vraiment la réaliser en métal?
En acier pour être précis. Un acier spécial, très rouge, qui a tendance à s’oxyder rapidement. Un effet rouille apparaîtra très rapidement, c’est l’effet que je recherche.
C’est important de visualiser la dégradation dans cette œuvre?
Pas trop, mais c’est important qu’elle y soit. La couleur rouille est une couleur qui se prête bien à l’extérieur. Le temps va jouer avec cet élément. Les coulures, le suintement, toute cette dégoulinure va s’inviter dans la composition.
Vous avez tendance, dans vos transformations, à fragiliser les objets que vous détournez.
Le fort et le fragile est un couple qui fonctionne au même titre que le féminin et le masculin, l’intérieur et l’extérieur, le haut et le bas, ce sont des dichotomies.
Oui, mais vous fragilisez systématiquement les objets que vous utilisez?
Très souvent.
Dans Marble Floor, un sol de marbre, élément durable, est remplacé par de la cochonnaille. La transformation est ici chez vous synonyme de destruction?
Marble Floor a été photographié. Il en reste une trace.
Le tatouage est aussi au centre de votre pratique, depuis le début, dès que vous avez commencé à graver des montagnes.
Les messages sur les falaises sont des messages très intimes. Ce sont des mots personnels échangés par un couple au milieu d’un site très touristique. Ce qui est domestique est tout d’un coup révélé aux yeux du plus grand nombre. Ce qui était murmuré est crié sur tous les toits. Le spectateur devient voyeur, il lit des phrases qui ne lui sont pas destinées. Il n’est pas le destinataire de ces messages et pourtant il capte cela en plein milieu d’un environnement complètement irréel, absurde. Les phrases sont écrites en anglais, car le message est plus efficace et plus concis.
Comment réalisez-vous ce travail?
Sur ordinateur, avec Photoshop.
C’est vous qui prenez les photos?
Oui, quelquefois. J’en commande aussi certaines, en haute définition, à des photographes et je les choisis après.
Vous présentez de nombreux dessins…
Je ne dessine pas trop, les dessins exposés sont la production d’un seul hiver. Ce n’est vraiment pas beaucoup, mais je le fais pour montrer de nouvelles choses. Je dessine car j’y suis obligé. Cette pratique me sert à trouver des motifs pour tatouer ensuite les cochons. A force de dessiner, des idées nouvelles me viennent à l’esprit. Le but est de tuer des cochons. Là ce sont juste des croquis.
C’est important de tatouer des cochons?
Évidemment. Ce qui est intéressant, c’est de tatouer de petits dessins sur les marcassins et d’attendre qu’ils grandissent pour avoir un plus grand dessin. Après, tu peux récolter des grands dessins, de grandes peintures. L’idée n’est pas de produire une œuvre mais de la faire grandir.
Vous tatouez des petits cochons pour obtenir de grands dessins?
On tatoue des petits dessins et on récolte des grands dessins.
C’est une méthode spéculative?
Oui, je spécule. La peinture avec le temps devient plus chère.
C’est seulement l’aspect financier qui vous intéresse?
Ce n’est pas le but unique, mais c’est un aspect important comme grandir et mourir. Le cochon vivant n’est pas une œuvre en soi.
Quand y a-t-il une œuvre d’art?
Quand le cochon meurt.
Vos œuvres sont toujours marquées par un début et une fin. En général la fin est synonyme de mort?
C’est le début de l’art. La mort c’est le début de l’art. Ce que touche l’art est mort, sinon ce n’est pas de l’art.
La maquette de la chapelle est ornée de vitraux. Votre œuvre est largement tournée vers la transparence, vous aimez rendre visible ce qui est caché, comme les photographies aux rayons X l’attestent.
C’est comme l’immaculée conception de la Sainte Vierge. Les vitraux fonctionnent sur le même principe. Ils font barrage au vent mais acceptent la lumière divine. Ce sont des filtres qui retiennent les particule, mais facilitent l’entrée de Dieu dans sa maison. Marie n’est pas fécondée par le sperme de Joseph, mais par l’Esprit Saint. Joseph, il ne peut pas baiser la Sainte Vierge. Mes vitraux symbolisent l’immaculée conception.
Vous révélez le corps des choses religieusement, mais aussi scientifiquement en utilisant les rayons X.
Je suis attaché à rendre transparent le monde de l’art. Produire, vendre, exposer forment une Trinité qu’il faut expliquer et rendre transparente. C’est très important de travailler sans secrets.
Pour toucher le plus grand nombre, l’humour est un facteur important?
Les gens disent que je suis drôle, mais dans mon atelier je ne suis jamais en train de rire. Je ne suis pas plus drôle qu’un autre artiste, je crois.
Mais vos Å“uvres font sourire?
C’est vrai. Je veux amuser les gens. L’art doit amuser les gens. Mais je ne veux pas raconter des blagues. Au fond de moi, je pense que je ne suis pas trop cynique. Du tout.
Pourtant, certaines de vos œuvres peuvent choquer? En regardant les vitraux scatologiques, pornographiques de la chapelle, des personnes pourraient s’offusquer?
Oui ils peuvent être choqués par les cochons, mais tout cela fait aussi partie de l’univers. Les gens qui font caca, qui font l’amour, existent. Les Témoins de Jehova m’ont reproché dans une lettre, d’avoir utilisé un ange, mais qui sont-ils pour me l’interdire? Les anges n’appartiennent à personne. Il y en a-t-il un seul qui en ait vu un? Non.
Pour révéler ce qui est habituellement caché, faut-il pour autant insister sur la scatologie?
Nous vivons à l’heure de la mondialisation et la seule chose qui soit vraiment globale ce sont les déchets. Chaque habitant de la planète entretient une relation privilégiée avec eux. C’est un thème universel.
Votre machine à merde, Cloaca, est une œuvre majeure. Chez vous, et en particulier dans cette pièce, vous nous expliquez toujours le fonctionnement d’une œuvre d’art. Vous symbolisez toujours le processus artistique. Cloaca est moins une matière fécale que matière à réflexion.
Il faut se servir de son vécu, des images que l’on emmagasine pour composer par la suite une œuvre d’art. Il faut digérer ses expériences à la manière des enzymes gloutons.
A la même époque, Damien Hirst découpait des corps pour les montrer sous verre. De la même façon vous interrogez le corps, mais vous préférez passer les chairs sous X, les présenter sous forme de cochonnailles. Vous vous intéressez à la génétique?
J’ai beaucoup lu Darwin. Il m’inspire énormément dans mon travail. Comme lui j’essaie de répondre à la question de la vie.
Vous vouliez obtenir une ombre avec la maquette?
Nous voulions jouer avec la lumière et éclairer la pièce pour construire une ambiance.
L’ombre représente quelque chose?
Non. C’est beau.
Sur le carton d’invitation Wim Delvoye est écrit comme le logo de Walt Disney. Le château enchanté de Disney World est aussi imprimé. En regardant l’ombre portée sur le mur on voit cette silhouette, c’est donc un hasard?
C’est une lecture. Chacun peut interpréter à sa façon. Comme je vous le disais au début, les pièces présentées à l’exposition sont là pour que l’on puisse lire entre les lignes. Entre chaque grandes réalisations, je fais en sorte d’accrocher un maximum d’éléments pour montrer l’élaboration de l’œuvre. L’ombre portée comme les dessins à côté et la vidéo sont là pour expliquer.
Vous transformez les logos de Walt Disney, mais aussi Warner Bross en Wim Delvoye. Pourquoi?
Les logos sont les blasons de notre temps, ils représentent le pouvoir. Cela m’intéresse de comprendre comment le pouvoir s’organise. A partir de cette nouvelle héraldique j’interroge également la notion d’auteur. Quelle est la frontière qui sépare un auteur d’un copieur? Suis-je artiste quand je suis tatoueur? Quand je pose la marque Louis Vuitton sur les cochons?
Justement pourquoi avoir décidé de mettre le monogramme Louis Vuitton sur la façade de la chapelle?
Ce n’est pas Louis Vuitton.
Mais ça reprend l’influence de la marque.
Parce que c’est gothique.
Vous ne reprenez pas le monogramme mais les inventions graphiques créées par Murakami pour le bagagiste.
Oui, mais lui a été payé pour faire ça. Moi je ne suis pas payé pour faire ça. Je réalise cette maquette juste pour le plaisir.
Oui, mais vous faites de la pub à Louis Vuitton?
Ce n’est pas Louis Vuitton, regarde. Viens plus près, tu verras que le monogramme est composé d’un H et d’un V.
Oui mais là , c’est la signature de Louis Vuitton?
Non, non, la dame de Louis Vuitton le pense aussi, mais c’est juste gothique.
Pourquoi tatouer sur les cochons les dessins de Walt Disney, comme celui de la petite sirène?
Parce que ce dessin ne m’appartient pas. L’idée de vol m’intéresse beaucoup. Il s’agit de prendre quelque chose qui ne m’appartient pas et qui a pollué la rétine de millions de filles dans le monde. C’est une pollution globale.
Vous dénoncez plus que vous ne rendez hommage à Walt Disney.
J’éprouve aussi une grande fascination. En attendant mon avion dans les aéroports je vois des princesses dessinées partout. Ces images deviennent des marchandises. On les retrouve sur des crayons, des gommes, des trousses, des tee-shirts, des cahiers…
Vous aussi vous déclinez beaucoup vos images?
Je vois très peu de différence entre une entreprise et un artiste. Ce dernier doit comme le manager avoir une vision à long terme, développer une stratégie, travailler d’arrache pied, créer son propre style. Tous les deux doivent prévoir ce qui va marcher et ce qui va passer à la trappe: un artiste et un chef d’entreprise, c’est la même chose.
C’est pour cela que vous avez décidé d’aller en Chine, vous délocalisez votre production de tatouage de cochons car c’est moins cher là -bas?
Je perds beaucoup d’argent là -bas, mais à long terme j’espère être dans une position très intéressante. S’implanter en Chine n’est pas rentable pour l’instant. La situation sera économiquement viable à long terme. Il y a tellement de salariés et le coût du transport est tellement élevé que je n’arrive pas encore à dégager de bénéfices.
Quelle est la taille de votre ferme?
Douze employés s’occupent des cochons. Cette année nous allons faire beaucoup de cochons car nous sommes, pour l’astrologie chinoise, dans l’année du cochon. Nous allons en faire une trentaine, essayer de monter jusqu’à quarante. Certains seront transformés en sculpture, d’autres en peau, et puis d’autres survivront, on verra.
C’est important qu’ils restent vivants?
Oui je préfère. Je veux qu’ils vivent bien. En étant vivants ils ont plus de valeur. C’est mieux de les garder.
Vous continuez à leur donner des prénoms?
Oui, je continue à leur donner des noms, mais je commence à être en panne d’imagination. Je peux faire des Julie, des Robert. Peut-être dix Robert. Pourquoi pas?
Vous êtes triste quand vous perdez un Robert?
Oui, c’est terrible, je n’aime pas. Je préfère les garder ensemble. Ils me coûtent tellement d’argent.
Vous avez des projets à venir?
La réalisation de la chapelle juste derrière vous. Elle est prévue pour la fin de l’année. Elle est déjà prête, il faut maintenant la monter. Beaucoup de pièces ont été fabriquées.
Que peut-on vous souhaiter pour cette année?
Beaucoup de travail. Comme tu vois c’est un gros chantier, mais j’aime bien travailler. Ça continue car ce n’est pas encore parfait. Cela n’est qu’une maquette, c’est mignon en l’état mais il y a encore beaucoup d’améliorations à apporter.
Vous avez envie de faire d’autres chapelles?
Oui.
Il y a d’autres collectionneurs qui se sont portés acquéreurs?
Oui, à Dubaï; je vais réaliser une mosquée.
Vous n’allez pas mettre des porcs sur les vitraux?
Non, je vais m’abstenir, je vais m’adapter au commanditaire.