ART | CRITIQUE

Wim Delvoye

PSandrine Morsillo
@20 Jan 2002

Aménagée en forme de chapelle, la galerie accueille six grands vitraux conçus à partir radiographies. Ce n’est la vie des saints qui est représentée, mais des tubes digestifs remplis d’excréments.

L’espace de la galerie Nathalie Obadia a été réaménagé pour accueillir les travaux de Wim Delvoye. L’architecture intérieure ressemble maintenant à celle d’une chapelle et présente six grands vitraux (extraits d’un ensemble de douze) inspirés des vitraux d’église. Une façon de renverser la situation habituelle où ce sont les œuvres qui s’adaptent aux lieux d’exposition.

Un lourd rideau noir ferme l’espace, fait l’obscurité et invite au recueillement. De loin, les vitraux aux couleurs chatoyantes, en forme d’ogives, étincellent. Tandis que la virtuosité du travail artisanal frappe immédiatement — les vitraux ont été fabriqués par l’un des plus grands maîtres verriers de Gand.

Wim Delvoye accorde une large place aux pratiques délaissées — le décoratif, le folklorique, l’artisanal — autant qu’au scatologique et à la saleté. En 1997, il fait tatouer des cochons Eddy et Marcel. Plus tard, il fait fabriquer des pavements avec pour motifs des étrons (Mosaïc, 1990), puis du salamis, de la mortadelle et du jambon (Marble Floor, 1998). La perfection dans la réalisation a d’ailleurs pour fonction de souligner l’opposition entre le « bien fait » et le « sale ».

Dans les églises, les vitraux ont longtemps servi de tableaux pédagogiques pour raconter la vie des saints, et pour assurer les passages entre la Terre et le Ciel. Les vitraux de Delvoye, qui ont été conçus à partir radiographies aux rayons X, renvoient au contraire à l’intérieur des corps. Dans leurs aspects les plus explicitement matériels: les motifs montrent des tubes digestifs remplis d’excréments. Les radiographies translucides et bleutées sont insérées entre deux plaques de verre, les compositions retrouvent les classiques rosaces, les ogives surmontées de blasons et les résilles de plomb noir soulignant les couleurs.

Dans le vitrail intitulé August, le squelette d’un corps tient d’une main un vibro-masseur placé entre ses jambes. Dans une autre partie du vitrail, le squelette d’une main baguée fait un geste obscène. Les autres vitraux montrent un crâne en train de pratiquer une fellation, des vierges enceintes sur des tables à repasser, des porcs en position de copulation. Autant d’actions sacrilèges figurées dans le médium associé à la religion chrétienne ; autant d’illustrations du péché de la chair dans l’espace dévolu à l’expression de la pureté et de l’abstinence. On songe au boudin fait de son propre sang que Michel Journiac a distribué sous forme d’hosties lors d’une mise en scène de l’eucharistie.

L’excrémentiel est très présent dans l’œuvre de Wim Delvoye qui a mis au point avec des scientifiques une machine pour fabriquer des excréments Cloaca (2000), et qui a utilisé ses propres excréments pour concevoir un motif de mosaïque. « Mettre les mains dans la merde », c’est revenir à l’acte créateur premier. Lors d’une phase symbolique de régression, Gérard Gasiorowski modelait des tourtes d’excréments. Non sans garder une distance humoristique, Delvoye associe la création avec la régression psychique au stade anal — là où s’abolissent les distinctions entre le beau et le laid, le pur et l’impur. Dans ce processus, le vitrail, dont la fonction traditionnelle est d’élever les esprits de la Terre vers le Ciel, allierait le bas et le haut, la science et l’art, pour atteindre à une forme renouvelée du «spirituel dans l’art».

Wim Delvoye :
— April, 2000-2001. Radiographie, acier, plomb, verre, métal. 244 x 104 cm.
— May, 2000-2001. Radiographie, acier, plomb, verre, métal. 244 x 104 cm.
— August, 2000-2001. Radiographie, acier, plomb, verre, métal. 244 x 104 cm.
— September, 2000-2001. Radiographie, acier, plomb, verre, métal. 244 x 104 cm.
— October, 2000-2001. Radiographie, acier, plomb, verre, métal. 244 x 104 cm.
— November, 2000-2001. Radiographie, acier, plomb, verre, métal. 244 x 104 cm.

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