Charles Fréger
Wilder Mann
S’inscrivant dans une démarche initiée il y a bientôt vingt ans, Charles Fréger est passé maître dans l’art du portrait social. Fonctionnant en séries, ses photographies s’attachent à saisir de manière quasi anthropologique la résurgence (ou le prolongement) de pratiques de socialisation visibles, car reposant sur le port de costumes ou d’uniformes. Les tuniques animales de Wilder Mann ne sont ainsi pas des lubies d’artistes isolés mais des traditions actuelles traversant l’Europe entière que le plus grand nombre ignore totalement. Les hommes s’y parent de masques terrifiants et de costumes sauvages faits de peaux et de cornes, d’os et de fourrures. Les sabbats modernes que forment leurs réunions hivernales, ne constituent pas qu’une mascarade multiséculaire visant un retour à la part sauvage de l’homme.
Ils sont aussi la preuve, continuellement tue et inexplorée, d’une pratique artistique et artisanale mais aussi de rituels sociaux que l’on ne peut, à l’instar d’André Malraux dans Les Voix du silence, que rapprocher des traditions et coutumes tribales que nous enfermons sous la dénomination d’Arts Premiers, comme pour mieux nous en éloigner. L’exotisme est parfois plus proche qu’on ne le croit…
Avec son regard très frontal, saisissant les individus dans leur environnement de manière toujours resserrée, Charles Fréger use d’un savant dosage de mise en scène et d’art de la pose — ou plutôt du «faire poser» — permettant, paradoxalement, de toucher à une intimité et de plonger avec une évidente simplicité dans les codes réunissant ces êtres.
Dans le cadre du festival Oblick – dialogues de la photographie, nous retrouvons ses «hommes sauvages» à La Chaufferie, mais aussi, de manière plus impromptue, sur vingt-cinq panneaux publicitaires disséminés dans la ville. Une manière de confronter l’homme urbain coupé de ses racines à ses contemporains perpétuant l’héritage ancestral de leur région. Autant de promesses de rencontres étonnantes et troublantes questionnant nos identités.