Charlie Jeffery
Why stand when you can fall
L’effet de surprise que génère cette évocation burlesque tient le jugement en suspens. Très souvent, l’artiste utilise cette figure de style lapidaire et contradictoire, qui devient un matériau de travail. Les phrases sont inventées ou collectées à partir de chansons ou de conversations puis recyclées sur différents supports: inscrites à la volée sur des bouts de papier, notées dans le creux de la main ou bien gravées dans la pierre. La diversité des matières employées (néons, adhésifs, carton…) révèle une plastique du langage où varient les couleurs et les rythmes, comme s’il s’agissait de sculpter le temps et de marquer le caractère fugitif de ces pensées. Jeffery emploie également la figure du double, comme dans ses vidéos où, affublé d’un masque d’âne, il met en scène l’alter ego de l’artiste.
Véritable touche à tout, Charlie Jeffery réalise des sculptures qui contraignent l’espace et les déplacements. Au Quartier, il réalise deux sièges modulaires tournés vers des murs où se détachent des textes en vinyle. La place vacante invite le spectateur à s’asseoir et divertit son regard: Concentre-toi sur quelque chose, pense à autre chose. Ici, l’énoncé coupe court à la question de l’activation de l’oeuvre. La simple lecture suffit à produire un léger vertige et renvoyer le spectateur à sa propre subjectivité: il est à la fois passif et impliqué.
Faisant valoir les qualités plastiques des matières dénigrées, Charlie Jeffery recycle les matériaux pauvres ou les objets manufacturés qu’il traite par décomposition, accumulation, combinaison ou synthèse. Mêlant pragmatisme et absurdité, il rend visibles les processus de fabrication et rend sensible l’idée d’une
évolution permanente des formes. Charlie Jeffery considère l’art comme une activité contingente qui prend place dans un écosystème où les idées, les matières, les formes se contaminent. La sculpture de Charlie Jeffery ne se définit pas seulement par son résultat, mais aussi par l’expérience de la fabrication, du découpage, de l’assemblage. Il est d’ailleurs difficile de parler d’un aboutissement stable puisque l’artiste recherche au contraire la possibilité d’une sculpture évolutive, qui
ne soit pas figée. Ainsi, il lui arrive de reprendre des éléments d’une oeuvre pour en composer d’autres.
L’artiste travaille souvent à partir d’objets trouvés dans la rue ou de matériaux banals : carton, meubles usagés, polystyrène, mousse expansée, boue, poussière. Il ne s’agit pas ici d’une volonté écologique de recyclage, ce choix n’a pas de portée idéologique. Mais il s’évertue à donner une forme à ces objets, à révéler leur potentiel, en les reconfigurant jusqu’à faire surgir des résultats inattendus. Le langage est aussi un thème de prédilection de l’artiste. Il s’attache notamment à incarner des phrases percutantes dans des matières malléables, explorant ainsi la plasticité du langage, l’apparence, le rythme des mots, et nous poussant à nous arrêter face à des formulations qui s’avèrent plus complexes que ce que laisse croire leur apparence tautologique.