ART | CRITIQUE

Whitney Bedford

PMagali Lesauvage
@12 Jan 2008

Par une exploration des enjeux actuels de la peinture, Whitney Bedford réactualise son processus de création à partir des modèles anciens. Deux ans après une première exposition à la galerie Art:Concept, la jeune artiste de Santa Monica revient avec deux séries d’œuvres qui font appel aux références de la peinture occidentale.

La première série explore le genre des marines, et plus précisément celui du naufrage. En écho aux grands modèles que sont, entre autres, les toiles de Turner, Delacroix ou Manet, Bedford parvient par la vigueur de son coup de pinceau et l’intransigeance de ses coloris à redonner à ce genre désuet une actualité étonnante.

Décrivant ces œuvres comme le «moyen d’exprimer l’importance de la passion et du désespoir ainsi que la passion du désespoir», l’artiste retrouve les préceptes du romantisme. Ses œuvres mêlent l’huile et l’encre sur des panneaux de bois, et décrivent avec force, par la métaphore du naufrage, la fin d’un monde.
Dans Untitled (Rainbow) (2004), la scène est dramatique: un trois-mâts majestueux s’incline dangereusement; la couleur rouge sang se répand sur la mer et tache même les voiles du navire, évoquant un terrible carnage; à l’horizon, un jaune de feu rappelle le combat proche. Peinture de bataille, l’œuvre rejoint la grande tradition de la peinture d’histoire. Ailleurs (Turning Over, 2003), les taches d’encre nous remettent en mémoire les visions maritimes hallucinées de Victor Hugo dessinateur.

Dans une série tout à fait différente, Whitney Bedford livre encore une fois un étonnant regard sur des œuvres majeures de la peinture européenne, dont la particularité est de faire partie de la liste des dix œuvres volées les plus recherchées au monde. Tout comme les tableaux de marines, ces dessins à l’encre sur bois sont des témoignages d’une pratique artistique et de codes iconographiques plus ou moins disparus. La finesse du tracé évoque la technique de la gravure, plus précisément de l’eau-forte telle qu’elle fut utilisée, de Jacques Callot à Goya, pour décrire les horreurs de la guerre, thème qui réapparaît ici. Dans de nombreux cas, la gravure est l’unique médium par lequel nous sont parvenues certaines œuvres anciennes: aussi la «copie» est-elle une nécessité, puisqu’elle est trace ultime de l’original manquant et de ce fait s’y substitue.

Par ces nouvelles séries, Whitney Bedford affirme son intérêt pour la fragilité, voire la disparition de la peinture comme médium actuel, et interroge ses modes de perpétuation: reprise de thèmes codifiés (la peinture de batailles), ou copie d’œuvres disparues.

English translation : Laura Hunt
Traducciòn española : Santiago Borja

Whitney Bedford
— Turning Over, 2003. Peinture à l’huile sur bois. 46 x 61 cm.
— Untitled (Rainbow), 2004. Encre et huile sur bois. 56 x 66 cm.
— Big Attack, 2003. Encre et huile sur bois. 61 x 91 cm.
— Untitled (Down Under), 2004. Encre et huile sur bois. 56 x 66 cm.
— Untitled (In Particular), 2006. Encre et huile sur bois. 46 x 61 cm.
— Untitled (The Longest Time), 2006. Encre et huile sur bois. 79 x 124 cm.
— Stolen/faked, 2006. Encre sur bois.
— Untitled (Lonely), 2006. Encre et huile sur bois. 56 x 66 cm.
— Untitled (Straight into Darkness), 2006. Encre et huile sur bois. 122 x 183 cm.

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