Il y a d’emblée quelque chose d’apaisant dans le travail de Daniel Lergon: la plongée totale dans le blanc, sans autre figure que des tableaux au format confortable, à l’échelle de celui qui les regarde. Une installation progressive dans l’épure à laquelle s’ajoute le peu d’obstacle pour l’oeil, comme si le white cube avait été ingéré par chaque toile. Des toiles-vortex en quelque sorte, propre à capter toute l’attention et à incarner la dématérialisation de l’espace de la galerie.
Intitulée «White Out», l’exposition du jeune berlinois a tout du phénomène climatique. Le whiteout représente le moment où la tempête de neige, transformée en écran blanc, convulse le paysage au point que celui-ci ne puisse plus être décelé par l’oeil.
Un blanc de la démesure donc, tel que celui qui rythme l’énigmatique surface du tableau de Daniel Lergon. A la fois opaque et vaporeux, massif et pourtant agité, il reçoit la lumière avant de la renvoyer au centuple, dans des variations éparpillées que le spectateur découvre en se déplaçant devant. Le miracle tient aux propriétés utilisées par l’artiste: une toile blanche rétro-réfléchissante qu’il a recouvert très partiellement d’une laque blanche beaucoup plus mate.
Ce sont ces formes plaquées brutes, réalisées d’un geste à la hâte en contradiction avec l’aura de la toile, qui dessinent en creux des motifs organiques ou minéraux. Elles aussi qui redistribuent les contours virginaux de la surface. Les premières également à se voir absorber par la toile. Chez Daniel Lergon, il est peu de dire que le fond détermine la forme.
En réalité, le fond porte en lui la couleur. Ce qui inscrit le travail à l’opposé de toute l’histoire de la peinture. Ici, le pigment disparaît au profit de la toile quand les codes traditionnels du médium faisaient de la surface un simple réceptacle pour déposer la couleur.
«La surface est chargée d’idées de lumière» précise-t-il, renforcçant encore le fait que sa toile est un tout et précisément qu’elle préside à la naissance de la couleur.
La peinture n’a, sur ses tableaux, plus grand chose à faire sinon être le témoin de cette fascination optique. Daniel Lergon s’en débarrasse d’ailleurs en la substituant par une laque transparente. Ce n’est donc pas seulement la galerie qui s’efface dans cet exercice de dématérialisation du tableau et des murs. C’est aussi, derrière cette beauté des ruines, un peu de la peinture qu’on enterre.
— Daniel Lergon, Untitled, 2010. Laque sur toile rétroflective. 200 x 200 cm
— Daniel Lergon, Untitled, 2010. Laque sur toile rétroflective. 200 x 200 cm
— Daniel Lergon, Untitled, 2010. Laque sur toile rétroflective. 270 x 130 cm
— Daniel Lergon, Untitled, 2010. Laque sur toile rétroflective. 200 x 200 cm
— Daniel Lergon, Untitled, 2010. Laque sur toile rétroflective. 200 x 270 cm