L’intitulé de l’exposition en forme de lapsus — word se substitue ici à world —indique d’emblée le cœur du problème : un monde passé, manqué, voire refoulé. Au regard des œuvres présentées, ce monde se révèle tour à tour rêvé ou réel, pesant ou stimulant, à oublier ou à perpétuer. La plurivocité du passé — de son appréhension et de sa gestion — domine.
Le temps révolu est idéalisé chez deux artistes. Le drapeau de Sara Rahbar, Flag #27, alliant les traditionnelles étoiles de l’étendard américain à des morceaux de tissus en provenance de pays orientaux, tels que l’Inde ou le Maroc, pourrait être le symbole de la réunion des peuples. Le passé est ici relégué du côté d’une douce utopie.
C’est également ce qui ressort de trois des pièces de Franziska Holstein, Schwarz, Album, graues Blatt et Albumseite, néanmoins plus empreintes d’ironie. A la surface d’un monochrome noir, des flèches, inscrites sur des bouts d’adhésifs, indiquent le processus à l’origine de l’œuvre. L’élaboration du tableau est renvoyée à un procédé mécanique. À côté, deux petites toiles exhibent les outils permettant l’accrochage d’œuvres sur papier: coins métalliques, scotch, punaises. Le passé est perçu comme la période de la facilité et de la légèreté. Autant dire qu’il n’est qu’une chimère, à moins de l’associer à la petite enfance, époque où le principe de réalité est évincé.
Plus loin, le temps révolu gagne en réalité en se faisant plus problématique. Dans trois autres de ses toiles, Schwimmhalle, Pflanze et Ente, mâchurées de peinture grise, noire, et blanche, on peine à identifier les documents — datant de la RDA — que Franziska Holstein utilise. Là où l’on s’attend à découvrir des images en provenance des archives de la Stasi, les motifs maculés de couleurs grisâtres sont de simples bouquets de fleurs, des poulets rôtis, ou des plongeoirs. Ainsi, dans chacun de ces tableaux, le passé et son cortège de souffrances sont-ils les victimes de la mémoire sélective.
Une dernière peinture, de Xavier Mazzarol, La Course, représente deux hommes dont le look punk évoque les années 80. L’air mauvais, ils s’avancent en direction du spectateur. La peinture dégouline, les corps sont barbouillés, les visages tout juste esquissés. Sans doute s’agit-il de rappeler — face à la menace de l’oubli — la dimension révolutionnaire, en même temps que brutale, du temps révolu.
Dans le même esprit, Matthew Burbidge propose une installation, Degas, faite d’un haut socle en bois, surmonté d’un cube tournant sur lui-même où est écrit le nom de Degas. Le tout est négligemment peint en noir et gris. Proche d’une tour de contrôle, ou encore d’un phare aveugle, ce dispositif assimile davantage le passé à une instance morale qu’à un guide. Le poids du temps révolu est ici proportionnel à sa grandeur.
Perçu comme la période de toutes les remises en cause — notamment dans le domaine des arts – le passé est traité de manière plus ludique chez Ruairiadh O’Connell, Nicolas Ledoux, et à nouveau Matthew Burbidge. Le premier d’entre eux intervient discrètement dans la salle d’exposition. Sur les cimaises sont fixées une petite pile de pacotilles rouges (Wonky Willy), une minuscule tour Eiffel (The Tower), une carte postale du drapeau anglais, un timbre figurant Élisabeth II (An Intelligence in the Hand).
Au sol, un livre est posé (Tongue and Cheek). Chacune de ces pièces, quasiment invisible, semble ne pas être à sa place. Or, c’est justement en vertu de ce caractère «déplacé» que les œuvres d’O’Connell agissent de manière disruptive sur le cadre qui les accueille.
L’ordre est perturbé, tout comme dans les dessins de machines à penser de P. Nicolas Ledoux, Absence totale de valeur artistique et Vers une esthétique opérationnelle. «L’art n’est pas où il doit être», «We Will Fall » : telles sont les phrases qui prolifèrent au milieu des enchevêtrements de tuyaux et de personnages hallucinés. Enfin, une installation de Matthew Burbidge, One of Three Proposals on Non Conceptual Painting, parachève cette perception amusée d’un passé rebelle. Une étagère en plastique contient des feuilles de couleurs. Quelques unes d’entre elles, déchirées et froissées, jonchent le sol ou remplissent une poubelle. La création est ici synonyme de perturbation de l’ordre établi.
Idéal, problématique, oppressant ou encore dérangeant, le passé recouvre ici de multiples aspects. Il n’est jamais donné, mais toujours construit à travers des regards divergents.
Matthew Burbidge
— Degas, 2007. Mix media.
— One of three proposals on non conceptual painting, 2008. Mix media. Dimensions variables.
Franziska Holstein,
— Album, graues Blatt, 2007. 30 x 42 cm.
— Albumseite, 2007. 30 x 21 cm.
— Schwarz, 2008. Acrylique. 270 x 220 cm.
— Pflanze, 2007. Acrylique. 40 x 60 cm.
— Ente, 2008. Acrylique. 90 x 130 cm.
— Schwimmhalle, 2007. Acrylique. 90 x 60 cm
P. Nicolas Ledoux
— Absence totale de valeur artistique, 2008. Encre sur papier. 50 x 65 cm.
— Vers une esthétique opérationnelle, 2008. Encre sur papier. 100 x 70 cm.
Xavier Mazzarol
— La Course, 2007. Huile sur toile. 232 x 174 cm.
Ruairiadh O’Connell
— Tongue and Cheek, 2008. Livre et ruban. 15 x 22,5 x 3,5 cm.
— The Tower, 2008. Punaise, tour Eiffel miniature.
— Wonky Willy, 2008. Points rouges. 2,5 cm.
— An Intelligence in the Hand, 2008. Carte postale, timbre.
Sara Rahbar
— Flag #27, 2008. Mix media. 185,42 x 116,84 cm.