Très vite, à la vue du travail des deux italiens Simone Bertuzzi et Simone Trabucchi, l’on comprend pourquoi Invernomuto aime à se définir comme un collectif d’expérimentations audiovisuelles. La variété des médiums et des formes rencontrés dans l’espace de la galerie témoigne de cette ouverture ; mieux, elle la rend possible, devenant la condition sine qua non d’une appréhension multidirectionnelle du réel, par le son et par l’image.
Pour sa première exposition parisienne, le groupe enquête sur certaines pratiques caractéristiques de la région de Piacenza, en Italie, où les habitants organisent dans les bois des joutes médiévales, vêtus de côtes de maille et armés de fausses épées. Stimulés par la proximité du village néo-gothique de Grazzano Visconti — créé de toute pièce au début du XXe siècle — ces combats font désormais partie intégrante du paysage culturel de l’Emilie-Romagne.
Si les artistes rapportent les traces matérielles de ce nouveau « phénomène social » — selon une logique documentaire : photographies, enregistrement sonores et vidéo, collecte et expositions d’objets — la portée ethnologique de leur travail reste illusoire. En vérité, ce qui se construit ici est un paysage fictionnel et fantasmatique, inspiré d’une réalité déjà ambivalente et présentée de façon fragmentée comme pour en faire ressortir la dimension artificielle.
Ainsi, la transcription audio des combats, diffusée dans l’exposition, nous confronte à un environnement sonore difficilement identifiable. Privée du pouvoir sémantique/narratif de l’image, les halètements d’effort et le cliquetis des fers qui se croisent perdent leur signification d’origine et fonctionnent de manière autonome, révélant le grotesque de la situation tout en donnant corps à une nouvelle forme de plasticité sonore.
L’œuvre de Rosa Barba, elle, impose à nous sa forme énigmatique et sa rhétorique de l’absurde. Posés sur un socle à la manière de sculptures, deux projecteurs se font face, comme s’ils s’accusaient l’un l’autre, engagés dans une discussion interminable. Chacun d’eux projettent en continu un film vierge d’une durée de quatre minutes accompagné d’une bande son, qui fait entendre sa mélodie métallique : bruits de vieilles machines et extraits audio de films de Fellini — symboles d’une industrie obsolète ? Leur semblant de conversation se révèle n’être rien d’autre qu’une compilation grinçante, qui se répète à l’infini et se chevauche, apparemment privée de sens. Fermée sur elle-même, l’oeuvre s’ouvre pourtant vers l’extérieur. La lumière produite par les projecteurs porte leur ombre menaçante sur le mur de la galerie, dramatisant l’espace en une autre sculpture, cette fois immatérielle.
L’étrange beauté de ce cinéma sans images — ballet mécanique qui danse et fredonne en boucle — dissimule une dimension polémique. Son titre, Western Round Table, fait littéralement référence à la table ronde sur le devenir de l’art moderne de 1949, qui a réuni à la California School of Fine Arts de San Francisco un groupe de personnalités issues du milieu de l’art, de la littérature, de la philosophie, des sciences… dont Marcel Duchamp, Frank Lloyd Wright ou Gregory Bateson.
Par ce renvoi historique et sa forme stérile — projecteurs face à face, pellicule vierge, bande son cyclique et répétitive — l’installation de Rosa Barba conclut à l’inanité de cette rencontre, à son caractère mensonger, comme si cette tentative de définition de la pensée moderne par ses représentants était symptomatique de sa déréliction prochaine. Ainsi, l’artiste dénonce les débats convenus d’avance : ceux de l’histoire de l’art et, par extension, ceux de l’histoire du court, pourparlers inutiles et négociations impuissantes. Avec Western Round Table, donc, le passé et le présent se rejoignent, mais aussi le futur, car l’œuvre semble prédire les déclins des nouvelles formes et des technologies à venir, comme ce fut le cas pour le modernisme. Un mémorial anticipé, en quelque sorte.
Préambule ou conclusion de l’exposition, l’installation de Rosa Barba finit par en être la véritable révélation, moins difficile à appréhender que le travail d’Invernomuto — dont la démarche frôle parfois l’anecdotique — et dotée d’une grande cohérence plastique. En espérant qu’il sera possible d’en voir bientôt plus de l’œuvre de cette vidéaste, encore inconnue des cimaises françaises.
Invernomuto
— Teastas Mor – Backyard Boundaries, 2008. Photographie et bois. 60 x 50 cm.
— Teastas Mor – Gameness, 2008. Photographie et bois. 60 x 50 cm.
— Teastas Mor – Corteo Storico I, 2008. Photographie et bois. 60 x 50 cm.
— Teastas Mor – Blessed Blessed Oblivion, 2008. Photographie et bois. 60 x 50 cm.
— Teastas Mor – Royal Boundaries, 2008. Photographie et bois. 60 x 50 cm.
— Teastas Mor – Corteo Storico II, 2008. Photographie et bois. 60 x 50 cm.
— Teastas Mor – Game, 2008. Photographie et bois. 60 x 50 cm.
— Teastas Mor – Grotto Detail I, 2008. Technique mixte. 165 x 70 cm.
— Teastas Mor – Grotto Detail II, 2008. Technique mixte. 160 x 60 cm.
— Teastas Mor – The Flag, 2008. Voile synthétique. Dimensions variables.
— Teastas Mor – Lounge Area, 2008. Photographie et bois. 60 x 50 cm.
— Teastas Mor, 2008. Dv, (loop), N&B. Installation Video. 5 min 55 sec/160 x 126 cm.
— Teastas Mor, 2008. Dv, B/N, 2008. DVD dans un coffret. 5 min 55 sec.
Rosa Barba
Western Round Table, 2007. 2 films 16 mm. Son optique. 4 min.