Thierry Costesèque
Western
En 2014, en résidence à RU à New York, Thierry Costesèque remonte Broadway à cheval sous les traits d’un indien. Seule diagonale du plan quadrillé de l’île de Manhattan achetée pour une poignée de dollars aux autochtones, Broadway est à la fois vestige de l’histoire et symbole de la spectaculaire modernité. Sous l’œil de la caméra, un homme revient sur un territoire et ne le reconnaît pas: densité urbaine, automobiles, signalisations, slogans, marques publicitaires, lumières…
La vidéo de la performance est projetée: quatorze minutes pendant lesquelles un cavalier solitaire filmé en contre-plongée avance sur Broadway, regard sur la ligne d’horizon. Enseignes et logos, bruits de moteurs et klaxons des taxis jaunes, trucks et land-rovers. Sa présence modifie la perception de l’espace en juxtaposant réalité de la mégalopole et imaginaire du western: les automobiles prennent des allures de conquérants, enseignes et logos publicitaires glissent sur le terrain de l’étrange.
Accrochés dans l’espace de la galerie, peintures, documents imprimés, objets forment une collection d’images où s’entremêlent fiction, souvenirs d’enfance, clichés populaires et documents historiques; ils se reflètent dans les lames de couteaux plantées au mur. Indiens à cheval, enfants déguisés en cow-boys, feux, morceaux de ciel ou motifs floraux de tissu féminin: le souvenir photographique se dissout dans le flou, les transparences et les rapports d’échelle de la mémoire.
Deux grandes toiles aux couleurs acidulées: feu, plumes de perroquet ou tête d’enfant sont peints en transparence. Les grands formats, habituellement imposants, sont ici au contraire d’une légèreté troublante: à un demi-mètre du sol, ils flottent comme en apesanteur.
Un récit se dessine en équilibre fragile entre candeur et violence: colliers de bonbons contre l’éclat menaçant de la lame, colliers en plastique jouant avec des dessins obscènes de revues populaires. La rencontre entre objets et images créé un flux entre le monde vécu et sa représentation.
Le travail de Thierry Costesèque s’élabore dans un espace «entre»: entre les mediums — peintures, dessins, objets et vidéos —, entre lieux géographiques, entre fiction et réalité. «Plus que l’idée d’un medium, c’est celle d’une attitude face au monde qui régit mes pratiques». Au croisement de ces territoires se créé une structure complexe de répétitions et modulations où chaque signe renvoie à un autre, le complète ou le contredit.
Se déplaçant sur la diagonale, chaque pas élargit l’œuvre, l’ouvre et la densifie: alors que l’étranger remonte Broadway, un espace immense se déploie dans lequel les traces d’histoires coloniales, récits individuels, fictions, signes du monde crépitent dans le reflet d’une lame–miroir.
Elisabeth Golovina-Benois