2019 marque le trentième anniversaire de l’ouverture du rideau de fer. Si le communisme de l’Union Soviétique a pris fin à cette date, le communisme chinois, pour sa part, perdure. Avec Ordinary People (2017) deux artistes, Wen Hui et Jana Svobodova, mettent en partage leurs propres expériences du communisme. Entre danse contemporaine et théâtre documentaire, Ordinary People se déploie avec neuf interprètes. Née en 1960 en République populaire de Chine, Wen Hui a créé la première compagnie de danse indépendante en Chine, le Living Dance Studio. Née en 1962, dans l’actuelle République tchèque et dans l’ancienne Tchécoslovaquie soviétique, Jana Svobodova a commencé par la danse classique avant de bifurquer vers le théâtre documentaire. Deux trajectoires qui se rencontrent en 2012, et décident alors de mettre leurs approches en commun. Les gens ordinaires de Wen Hui et Jana Svobodova livrent ainsi, sur scène, des fragments de leur réalité. De leur histoire.
Ordinary People de Wen Hui et Jana Svobodova : danse et théâtre documentaire
Le communisme est notamment célèbre pour son esthétique réaliste (le Réalisme socialiste). Mais, comme pour le cinéma selon André Bazin, il substitue parfois à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. Une réalité héroïque donc, enthousiaste, historique et progressiste. Seulement le réel est rarement aussi glamour. Comme l’explique la chorégraphe Wen Hui en parlant de la genèse de la pièce, « Au début, j’ai suggéré d’utiliser un livre du sociologue américain Eviatar Zerubavel, The Elephant in the Room: Silence and Denial in Everyday Life ». Une proposition motivée par l’impression de ce que beaucoup de personnes, aujourd’hui, choisissent de ne pas entendre, de ne pas voir, de ne rien dire. Un choix qui peut s’avérer judicieux quand la prise de parole est dangereuse. Mais un choix qui participe aussi de la reproduction de modèles peu efficaces. Pour travailler, les interprètes (danseurs chinois et acteurs tchèques) ont commencé par s’interviewer mutuellement.
Ordinary People : quand les gens ordinaires se frottent au théâtre et à la danse
Si le communisme n’existe plus en République tchèque, et si la République populaire de Chine a déjà bien amorcé son tournant libéral, pour autant les mémoires des gens ordinaires, avec leurs corps ordinaires, gardent la trace des politiques orthodoxes. C’est aussi cette mémoire que travaille la pièce. Comme un écrin accueillant différentes histoires singulières et personnelles. Au sein de la grande Histoire. Il y a par exemple le Tchèque Vladimir, 73 ans, passionné de rock’n’roll et qui se souvient de ses arrestations multiples. Des obstacles qui n’auront fait que renforcer sa volonté de continuer à danser. Ingénieur de profession, Jana Svobodova a rencontré Vladimir Tuma sur une plage. Empêché de devenir acteur ou chanteur d’opéra, Ordinary People est aussi le moment où il se rejoint lui-même. En partageant, sur scène, beaucoup de ces choses ayant eu lieu pendant sa jeunesse.
Un pièce actuelle, où résonne l’histoire du XXe siècle, de Mao au Printemps de Prague
Travail d’écriture mémorielle plurielle, Ordinary People met aussi en évidence le fait que participants tchèques et chinois aient des manières différentes de raconter leurs histoires. Tout comme le fait que la mémoire verbale et la mémoire corporelle ne pondèrent pas toujours les choses de la même façon. Sur scène, Wen Hui, chorégraphe et interprète, occupe une place de cheffe éclairagiste, de compositrice, de responsable de la vidéo… Tout est fait en direct sur une scène plutôt dépouillée et dans une ambiance très actuelle.
À retrouver dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.