Yann Sérandour
Weiss
Au départ de la pratique artistique de Yann Sérandour, il y a le livre, comme objet non figé, outil de transmission et de circulation d’informations, et l’activité qu’il sous-tend, la lecture comme processus de construction, déconstruction et reconstruction d’histoires.
Cet acte de lecture étendu à l’histoire de l’art – des oeuvres qui la construisent aux livres qui la transmettent, avec une prédilection pour les propositions conceptuelles des années 1970, balise l’ensemble de son travail.
Ses oeuvres apparaissent comme un ensemble de gestes ou d’opérations d’infiltrations, de développements et à partir d’objets, de livres ou d’oeuvres existantes, prolongeant et réactivant leurs portées et leurs enjeux dans une lecture sans cesse modifiée.
Créant ainsi des espaces permettant la remise en circulation – et en réflexion, d’une matière préexistante de références et de signes, Yann Sérandour ouvre des percées au sein d’une histoire de l’art, déjà écrite : « le fait de produire des oeuvres qui s’insinuent parmi les livres m’amène à travailler dans les interstices et les marges d’un environnement culturellement saturé, en étant à l’affût d’espaces vacants. Le livre, la bibliothèque sont des espaces feuilletés et interstitiels ».
Loin du simple commentaire ou de la citation érudite, le travail de Yann Sérandour aborde les notions d’échange et de circulation des oeuvres et des idées, questionnant les frontières mouvantes entre la place et les rôles de l’auteur, du lecteur ou du spectateur.
« Portrait d’un jeune homme lisant un magazine pour messieurs », photographie trouvée datant des années 1930 posée sur le bord d’un miroir à laquelle vient s’associer le reflet immédiat du spectateur, peut être perçue comme un autoportrait de l’artiste par procuration, où les regards de l’artiste et du spectateur se croisent à la faveur d’une activité commune : la lecture.
Introduite par ce court-circuit temporel, l’exposition « Weiss » (signifie blanc en allemand) s’ouvre sur l’idée d’une constante prolongation d’histoires ou d’images passées dans le présent, qui caractérise l’ensemble des oeuvres présentées et la démarche de Yann Sérandour en général.
Suite à une opération de « désherbage » des publications conservées par la galerie (consistant en l’élimination d’un certain nombre d’ouvrages constitutifs du fonds d’une bibliothèque),Yann Sérandour a prélevé de ces livres les pages vierges (ou comprenant un espace blanc prédominant) qu’ils contenaient.
Ces livres partiellement évidés du vide qu’ils renfermaient et présentés au sol contre le mur symbolisent en quelque sorte, le trop plein d’informations contenues dans l’espace physique de la galerie, la surinformation circulant dans le milieu de l’art, ou plus globalement dans l’ensemble des champs de notre société.
Réunies sous la couverture de l’une de ces publications, intitulée Weiss, les pages récupérées ont été reliées, sous la forme d’un leporello, telle la matrice très informée d’un catalogue d’une exposition improbable.
En regard de cette oeuvre, un papier peint panoramique, intitulé Le plein liste l’ensemble des objets rassemblés dans de la reconstitution du Plein d’Arman à l’occasion de l’exposition « Hors Limite » au Centre Pompidou en 1994 (réalisé initialement en 1960 à la Galerie Iris Clert).
Classifié selon une typologie définie par l’artiste, cet inventaire prolonge une exposition précédente au Musée de l’objet à Blois – lieu de conservation actuel de cette reconstitution – dans laquelle Yann Sérandour avait vidé le contenu du Plein et exposé l’ensemble des objets qu’il contient.
La série « Yucatan Mirror Displacements (1-9) » comprend neuf découpages réalisés à partir de l’oeuvre Neuf déplacements de miroirs effectuée par Robert Smithson en 1969 au Mexique.
À partir des reproductions des photographies de cette oeuvre dans un catalogue sur l’oeuvre de Smithson, les miroirs – placés et photographiés à l’origine par Smithson dans neuf paysages différents – ont été découpés, les vides ainsi créés laissant la place à un vrai miroir inséré en arrière plan.
Par cette manipulation,Yann Sérandour fait de nouveau se rencontrer deux temporalités, en actualisant le passé contenu dans (la reproduction de) l’oeuvre de Smithson à chaque découverte de l’oeuvre par le visiteur.
Dans la seconde salle d’exposition utilisée depuis quelques mois comme espace de showroom/stockage, Yann Sérandour a sélectionné certaines oeuvres d’autres artistes représentés par gb agency faisant particulièrement écho à son exposition ainsi que certaines de ses oeuvres (notamment Complet, 2007 et Interview with a Cat, 2008).
Celles-ci sont présentées au sein de l’actuel accrochage, s’infiltrant ainsi au sein de l’activité de la galerie. Visible sur demande.
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Sarah Ihler-Meyer sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Weiss