Communiqué de presse
Lori Hersberger, Martin Oppel
Weather Reports
« Il n’y a pas au monde deux yeux identiques comme organe et comme faculté » (Jules Laforgue)
Si l’homme se saisit dans le temps, il se saisit aussi en partie dans le temps qu’il fait (et qu’il fait, en règle générale, durant très peu de temps).
« Weather Reports », par la rencontre du travail de Lori Hersberger et Martin Oppel (dont ce sera la première exposition dans une institution française), souhaite rendre compte des possibles formes contemporaines de la conquête de la lumière solaire, de la matière atmosphérique, des conditions d’apparition d’une source lumineuse dans l’oeuvre.
Les déflagrations d’une peinture irradiant dans les reflets d’un miroir, l’imperceptible spectre d’un couchant apparaissant derrière une ruine à l’origine obscure, semblent contenir littéralement une « propriété » solaire, la couverture lumineuse du ciel, autant d’éléments qui conditionnent esthétiquement encore aujourd’hui, et pourquoi en serait-il autrement, la forme des Å“uvres.
L’Impression, soleil levant de Claude Monet est un face à face solitaire avec l’astre et les nuées, la main du peintre tendant à les « voir » et à les faire voir à nouveau.
C’est également une Å“uvre devenue l’emblème de cette quête impossible.
Comment, en effet, rentrer accompagné par la lumière du jour elle-même? Qu’elle soit romanesque, picturale ou plus généralement plastique, c’est un effort héroïque qu’il faut fournir pour déterminer la forme qui la ramènera à l’intérieur de l’oeuvre si ce n’est avec soi.
A l' »impression », succède ici la notion de rapport (le terme anglo-saxon « report » du titre de l’exposition, qui fait référence au bulletin météorologique, induit également la notion d’explosion): rapporter, emmener avec soi littéralement le ciel et quand c’est impossible (le plus souvent) en restituer un point pour l’ensemble, s’y appuyer pour reconstruire une vision du monde plus large encore…
Mais aussi en faire un compte-rendu, dans une langue qui n’est pas celle de l’événement. Un report, donc, entre la trivialité d’un instant et la lutte presque émouvante pour le reconstituer.
Le temps de l’exécution de l’Å“uvre, et c’était déjà l’un des enjeux de l’impressionnisme, induit un temps de lecture et de retour « supérieur à la sensation elle-même », aussi intense soit-elle.
Et pour intense qu’elle est, en tant qu’excitation solitaire à transformer en expérience collective, irrémédiablement insatisfaisante.
« De sorte qu’en définitive, même en ne restant que quinze minutes devant un paysage, l’Å“uvre ne sera jamais l’équivalent de la réalité fugitive, mais le compte-rendu d’une certaine sensibilité optique sans identique à un moment qui ne se reproduira plus identique chez cet individu, sous l’excitation d’un paysage à un moment de sa vie lumineuse qui n’aura plus l’état identique de ce moment. » (Jules Laforgue)
Le plein air n’est plus le lieu de l’expérience, il est à la fois l’écran d’une pensée et l’objet même de cette pensée.
A la différence des artistes de la fin du XIXème siècle, Lori Hersberger et Martin Oppel témoignent, de manière indirecte ou fulgurante, du caractère impossible de cette tâche.
Ils se mesurent au monde dans ce qu’il a d’immatériel en mettant en place un ensemble de signes qui nous y relient d’une manière presque primitive (Martin Oppel) ou par le biais d’une citation acérée et abyssale (Lori Hersberger).
Les peintures de Martin Oppel, tout comme les peintures impressionnistes, sont des peintures d’après la photographie: elles interviennent dans la circulation générale des images photographiques dont elles prolongent la capacité à figer un instant la lumière.
Souvent, elles semblent restituer d’intenses et particulières émotions lumineuses (spots inondant une scène rock, diffraction et disparition des rayons solaires dans la flore équatoriale, reflets dans des immeubles vitrés du crépuscule auquel le regard « tourne le dos »).
Ses oeuvres rendent compte de la manière dont la lumière inonde la « scène » du monde, tel le reflet éblouissant situé au coeur même d’un simple feu de camp.
Elles scrutent les sources lumineuses les plus lointaines comme les plus accessibles et dressent une cartographie de ce qui nous éclaire autant que de ce que nous visons.
L’ensemble plus large de ses oeuvres, constitué d’un faisceau d’indices mystérieux, de sculptures, d’objets et de représentations situant l’homme dans une histoire formelle liée au rite et au temple, brouille les frontières et les liens entre l’objet et l’image contemporaine avec l’histoire ancestrale, primitive des formes.
Mais elles tendent peut-être avant tout à faire apparaître, au travers de ces représentations, une « géométrie dans le chaos », ainsi que le caractère « éthéré » et instable du monde visible.
Ses oeuvres semblent par ailleurs perturber le principe même de l’érection des constructions humaines: sur quoi reposent les oeuvres et les architectures, et vers quoi s’élèvent-elles (quand elles ne sont pas retenues au sol par un certain épuisement -Flaccid Cone, 2004-). Ne tombons-nous pas perpétuellement vers l’infini ?
Le travail de Lori Hersberger, héritier presque sanglant des oeuvres de James Turrell ou de Steven Parrino, s’élabore lui aussi vers des espaces plus purs, trouant la surface à la recherche d’un horizon subsidiaire.
Sa peinture, une peinture d’après la musique, la vidéo, l’installation (qu’il pratiqua en premier lieu), est, indique-t-il, de tous les médiums, celui qui, « en un sens lui offre une perspective d’infini ».
Ses oeuvres les plus récentes mettent en évidence la valeur esthétique de l’artifice poussé dans ses plus lointains retranchements : une peinture de synthèse constituée de points d’impact, l’ouverture, à tout prix, du champ de vision.
L’émergence des images y est réellement comparable au mouvement « du soleil ou d’une idée »: levant et couchant (d’une idée comme d’un astre) permettent en effet, à l’infini, la pratique de « répétitions et de variations », que les roses, noirs mais aussi et surtout les couleurs fluorescentes présentes dans sa peinture rappellent immanquablement.
Des états du temps il y subsiste ainsi que dans ses sculptures et plus particulièrement dans ses installations, une structure fondamentale, un programme (au sens musical du terme) qui soutiennent une recherche esthétique à la fois catégorique et énergique, moins violente qu’absolue et particulièrement révélatrice de l’état d’un monde devenu un véritable mirage acide.
Les matériaux et les couleurs qu’il emploie, parce qu’ils sont « sans qualité », donnent aux oeuvres un caractère ultra-rayonnant: un manque de qualité quasi radioactif et donc actif, et non neutre ni absorbant.