Donna Huanca
Water Scars
A travers sa manipulation du vêtement et de la peau, Donna Huanca utilise l’énergie des objets pour mettre en évidence la tactilité hypertrophiée, fétichiste, des processus culturels, activant par là une mémoire subconsciente et pré-linguistique.
Le vêtement, inséré dans les rituels qui définissent l’intimité du quotidien et les pratiques sociales du corps, est un véhicule de transmission culturelle, un outil de subjectivation, mais aussi une interface imprégnée d’anxiété. Comme mode d’assimilation et d’appropriation, il apparaît ici à la fois comme processus de construction de l’identité et comme dénaturation. Dans ses installations performances, le maquillage affecte la personne d’un coefficient instrumental dans lequel la cérémonie de la mise en scène de soi ne vise plus à s’inscrire dans un rapport d’altérité, mais de dissimulation, de fusion, de camouflage — fournissant les prémices d’une narration poétique et fantasmatique, sur l’étoilement de l’identité.
Cette attention portée à la dimension spirituelle de l’enveloppe interroge le discours contemporain du corps, l’espace-temps de la métamorphose hésitant entre renaissance et dépersonnalisation. De manière toujours ambivalente, non rhétorique, Donna Huanca montre comment le corps est sculpté par son environnement, déterminé par un processus d’absorption mimétique, conduit vers des modes de dissolution que l’artiste fait entrer en résonance avec des méthodes de dépersonnalisation psychotropiques et une forme de schizophrénie libératrice.
Les installations à grande échelle de l’artiste combinent des matériaux tactiles, vêtements, chaussures, tissus, ou objets de récupération, qu’elle déconstruit, et fige dans la peinture. Recombinés avec des matériaux plastiques, latex, ou superposés en couches sur des châssis, les objets usagés ou portés donnent naissance à de nouveaux artefacts. Reliés dans l’espace par un réseau de correspondances, sémantiques et plastiques, les éléments statiques sont activés lors des performances au cours desquelles des modèles vivants, camouflés, cristallisés dans l’installation entrent en interaction avec les Å“uvres.
Le corps reste toujours l’agent central dans la succession de tableaux vivants qui se succèdent. Les attitudes extatiques ou impavides des modèles les font sans cesse évoluer du recueillement, du retrait, vers une vulnérabilité due à l’éclatement de cette barrière protectrice, du fait de leur surexposition. Ainsi, camouflage et maquillage, travestissement et enfouissement opèrent un jeu constant de brouillage entre prédation et séduction, volupté et cruauté.
Entre contrôle et spontanéité, sacralisés et élevés sur des podiums ou exposés sous des vitres, recomposés en totem, les corps et les objets s’insèrent dans un système allégorique qui met en parallèle les rituels du «self care» et de l’hédonisme contemporain avec les modes archaïques et primitifs de socialisation. L’émergence de l’identité à travers une succession d’artifices, de mises en scène, de masques la soustrait à l’emprise du rituel, mais pour la livrer aussitôt à une multiplicité, anxiogène, de regards.