Communiqué de presse
Cristian Andersen
Watch out, you might get what you’re after
Des paysages sombres où flotte encore une fumée noire ou une brume épaisse laissent persister l’indécision des lieux; une forme d’iceberg coupe l’espace d’exposition en deux, des armes posées à proximité; des monolithes noirs se dressent bancals, accompagnés de haches de cire blanche; le visiteur traverse des morceaux de paysage où, à l’identique des dessins, des plans se superposent, croisant des réalités sorties tout droit de clichés surréalistes.
Cristian Andersen joue depuis longtemps avec l’effroyable. L’effroyable cataclysme ou l’effroyable chaos comme horizon. Le clair obscur domine toute son oeuvre au point de donner à ses installations des allures de gravures à la Jacques Callot. L’éclatement de la forme est quasiment érigé en une sorte de règle. Mais ces formes se répètent d’une pièce à l’autre, d’un support à l’autre: cet arbre noirci de l’installation Colonisation, 2007, totalement défeuillé et dont il ne reste qu’une pauvre branche prolongée par une planche clouée, se retrouve presque à l’identique ou sous une forme géométrisée par pans triangulaires sur la série des dessins «Blüten aus Asche», 2005, ou sur cette photographie Alte Geistehundefalle, 2003.
Les haches elles-mêmes se promènent tantôt en cire, plantées au milieu d’une installation, tantôt dessinées au stylo bic dans un paysage dantesque. De même le trait de lumière perce l’obscurité à l’image de l’ouverture d’une porte (Get The Balance Right, 2007) ou déchire comme un éclair la surface des toiles enduites de latex (Broken Minute Later, 2006-2007).
L’éclatement est un élément de la règle que Cristian Andersen s’est donnée, mais il ne fonctionne plastiquement que parce que l’artiste lui a associé une condition, l’équilibre. Ses oeuvres jouent sans cesse de cette dualité, comme d’un point fixé dans le temps. Face à elles ou au milieu de ses installations, nous sommes dans l’après du cataclysme, mais juste avant une rupture.
La question du temps est une clé essentielle à la compréhension de son travail car elle est matérialisée par cet équilibre comme nous invitent à le voir les gouttes tombant du plafond de Draft, 2005, ou celles glissant du morceau de doigt de As Long As It Takes, 2007. Comme en contraste, surgissent au sens propre de petites figures blanches. Des accumulations de dés se dressant vers le ciel, des figurines guillotinées tenant à bout de bras leurs têtes ou ces oiseaux couverts d’un couvre-chef, perchés sur quelque assemblage monochrome. Ces objets moulés en céramique construisent au sens propre des équilibres. Leur assemblage est leur détermination, leur équilibre, leur existence.
Ce ne sont pas des détails des dessins ou des installations, mais de réelles oeuvres antinomiques de ces dernières et régies par cette notion d’assemblage. Cette opposition leur donne toute leur autonomie. Ces figures existent comme des contrepoints aux environnements. Si ces grandes sculptures représentent une forme d’effondrement de l’art minimal – les plaques noires sont des miroirs chus dans un cataclysme postmoderne – les petites sculptures négocient un retour impossible à des formes de «combines» pour reprendre la terminologie de Robert Rauschenberg, hantées par les questions du socle et de la monochromie.
Car ces objets de céramique prennent leur source au coeur même de la modernité, à travers le paradigme de l’assemblage, mais ce qu’elles assemblent relève d’une relecture de la postmodernité qui échapperait à l’histoire. Cristian Andersen comme nombre d’artistes de sa génération rejoue cette question postmoderne mais hors des référents historiques, se positionnant dans le tourbillon présent d’éléments issus de la culture vernaculaire. Il se donne ainsi une position singulière, qui est à reconsidérer à l’aune de toute une production européenne, rejouant selon un tempo romantique le modernisme historique avec sa filiation de pratiques minimales, conceptuelles et post-minimales, c’est à dire l’architecture de l’histoire contemporaine de l’art.
Mais sa position singulière tient à l’écart qu’il crée au sein même de sa production, entre une tradition historique contemporaine effondrée et un kitsch toujours sur le fil du rasoir, en équilibre. Eclatement et assemblage sont, chez Cristian Andersen, deux aspects d’une même réalité, deux termes dualistes, dont le fonctionnement est complémentaire. D’une manière plus générale, son oeuvre présente un fonctionnement dualiste au sens où les jeux d’oppositions terme à terme le parcourent, sinon le structurent: éclatement/équilibre, assemblage/équilibre, clair/obscur, mat/brillant, objets manufacturés/coulures de peintures etc.
Ces oppositions tranchées permettent une réelle dramatisation d’une violence qui, au fil du temps, a tendance à être de moins en moins directe, passant par des mises en scène de plus en plus métaphoriques. Mais cette violence est bien présente, sous-jacente. On pense au blanc laiteux et mat des haches se reflétant dans le miroir noir de plaques rectangulaires; et cette violence n’en est que redoublée. On pense aussi à cette peinture au trait, sur une toile enduite de latex dont la douceur effleure l’oeil, où deux masques percés de trois petits trous ronds pour figurer les yeux et la bouche, pendent dans le vide, chacun fiché d’un long nez à la Pinocchio dont les narines saignent.
Dans cette première exposition monographique à Paris intitulée «Watch out, you might get what you’re after», Cristian Andersen nous laisse pénétrer cet univers trouble de clair-obscur. C’est la main du magicien qui ici intervient pour créer ce hiatus temporel, cette faille entre deux réalités, d’où surgissent une installation de planches noires, une série de céramiques et un ensemble de photographies. Ces oeuvres ne sont pas le décor d’une séance d’hypnose, mais bien la projection d’un espace-temps qui nous a échappé.
critique
Watch out, you might get what you’re after