James Hopkins utilise des moyens éminemment rationnels pour créer un art qui trompe les attentes logiques du spectateur. Il transforme avec malice des objets du quotidien, y introduisant via de légères altérations à la fois un dysfonctionnement voire un changement de nature, des commentaires sur leur nature et leur usage, ainsi qu’un caractère improbable et déroutant. Les illusions visuelles sophistiquées de ce jeune artiste anglais sont engageantes, mais ses travaux évoquent aussi le sentiment déstabilisant de découvrir que la vue, celui de nos sens que nous pensons le plus fiable, et le plus sollicité dans une galerie, peut être trahie.
Donnant son titre à l’exposition, «Wasted Youth» (jeunesse gâchée ou saoûle) consiste en une étagère murale chargée d’objets évoquant l’adolescence, ses plaisirs et ses débordements. Dans la disposition générale des objets, dont certains sont coupés ou tronqués, à travers les pleins et les vides de la perspective, apparaît l’image d’une tête de mort surdimensionnée.
Comme dans le célèbre tableau Les Ambassadeurs (1533) de Hans Holbein le Jeune, James Hopkins fait ici converger deux traditions picturales nées à la Renaissance: d’une part celle de l’anamorphose – où une image naît d’une perspective distordue –, d’autre part celle de la vanité – ces natures mortes représentant des objets symboliques de la fragilité et de la brièveté de la vie, dont le crâne humain est un des plus courants, et invitant à méditer sur la futilité des plaisirs terrestres face à la mort inéluctable.
Ce «memento mori» (souviens-toi que tu vas mourir) en trois dimensions est à la fois transposé dans l’univers d’un adolescent contemporain et attaché à une narration: les objets mis en scène sont les scories d’une fête qui aurait mal tourné, où les excès et la recherche du plaisir immédiat auraient trouvé une fin funeste.
Reposant également sur le principe de l’anamorphose, Kiel, Kenny, Stan and Cartman l’applique cette fois à l’imagerie populaire contemporaine: à première vue composition abstraite de formes et de couleurs en plastique, la sculpture, observée depuis un certain point, se révèle être une représentation des célèbres personnages de la série animée satirique South Park.
Autre anamorphose, Sliding the Scale confirme l’intérêt de James Hopkins pour le monde des dessins animés. L’œuvre consiste en effet en un piano à queue distordu de telle façon qu’il semble capturer visuellement le son et le mouvement associés à la musique, comme dans le chef d’œuvre de Disney Fantasia, où les objets deviennent animés, et même personnifiés. Hopkins fait le lien et établit un dialogue cohérent entre animation et musique en utilisant le piano anamorphique comme piédestal pour une sculpture de Mickey distordue.
Jouant également sur la notion d’équilibre, Kicks in the Park est un banc public maintenu dans un équilibre fragile sur deux pieds par des bouteilles de bière qui agissent comme contrepoids. Entre trivialité et érudition, l’œuvre évoque à la fois le désœuvrement malsain d’adolescents picolant dans un jardin public et le rôle central de la notion d’équilibre dans l’histoire de la sculpture.
Focal Length est composée d’une bouteille d’alcool posée horizontalement sur un trépied en bois, le dispositif rappelant les premiers appareils d’optique. Pour qui regarde par le goulot, un ingénieux système de miroirs placé à l’intérieur produit un effet kaléidoscopique qui déforme l’environnement observé et procure un sentiment d’ébriété. Comme un clin d’œil au célèbre mot d’Oscar Wilde «étendu dans le caniveau mais regardant les étoiles».
Quant à la serre d’Acid Rain, ses parois en miroir la transforment en chambre kaléidoscopique, où le chemin visuel du visiteur est réfléchi en un énigmatique effet de répétition et d’infini. L’œuvre mixe ainsi l’image familière d’une serre et l’expérience déroutante d’un palais des miroirs de fête foraine, entre préoccupation climatique et clonage visuel.
Effet de réflexion également dans Double Check, où des lettres posées au sol et formant le mot «check» (vérifier) se reflètent dans un miroir. Chaque lettre étant symétrique, leur réflexion forme également le mot «check» et justifie le jeu de mot du titre de l’œuvre, invitant le visiteur à y regarder à deux fois.
Ultime objet piège, Puzzle Passage est composée d’un ensemble de six portes blanches emboîtées en un puzzle géométrique, sorte de casse-tête chinois grandeur nature. Obstacle onirique, l’œuvre est à la fois l’énigme et la porte qui s’ouvre en résolvant l’énigme.
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Anne-Lou Vicente sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Wasted Youth