ART | CRITIQUE

Wall & Floor

Vernissage le 09 Jan 2010
PEmmanuel Posnic
@27 Jan 2010

Belle leçon d'histoire de l'art chez Almine Rech. En associant, autour de l'identité de la sculpture, la nouvelle scène internationale avec les grandes figures de l'Art minimal, la galerie pose une vraie réflexion sur la filiation et sur la généalogie de la transgression formelle. Finalement, des graines pousseraient bien à l'ombre des grands arbres...

Depuis les avant-gardes du XXe siècle, la sculpture est non seulement sortie du strict champ de la représentation, mais elle s’est également affranchie de son propre lexique. Exit les matériaux traditionnels, les socles neutralisés ou la réversibilité de l’objet. La sérialité, la transparence, la «forme pour la forme», la dématérialisation, les matériaux pauvres, liquides, mous ou périssables ont pris place dans le langage commun de la sculpture contemporaine. Carl Andre, Don Judd, Dan Graham, John McCracken et d’autres auront porté cette transgression dès les années 1960 dans le sillage esquissé par Duchamp, Man Ray et Brancusi.

Aujourd’hui, la relève s’installe progressivement dans le paysage de l’art contemporain international. C’est ce que vient nous rappeler l’exposition Wall and Floor. Derrière les grandes figures de l’art minimal et conceptuel, qui auront permis la véritable émancipation du médium, de jeunes artistes en examinent à leur tour les principes. Et notamment la porosité des lignes qui retiennent encore la sculpture et la peinture.

Tel est d’ailleurs le point d’ancrage de l’exposition. La séparation peinture-sculpture et les opportunités transgénérationnelles pour la saborder.
A ce jeu, le voisinage des aînés et des jeunes fonctionne assez bien et l’exposition s’équilibre avec des propositions homogènes.

Dès l’entrée, Nate Lowman répond à Chris Burden dans l’exploitation de la violence armée: le premier accroche au mur la sérigraphie illusionniste d’un impact de balle — Untitled (Bullet Hole), 2009 —, le second encapsule des cartouches en or dans une présentation sur socle à la fois classieuse et désinvolte — Gold Bullets (pointies and roundies), 2003.

Plus loin, les feuilles argentées chiffonnées d’Anselm Reyle (Untitled, 2009) heurtent les angles réguliers des cubes de Sol LeWitt (Form Derived From a Cube, 1963). Les couples se croisent et retiennent le plus souvent des combinaisons de pièces accrochées au mur avec d’autres disposés dans l’espace.
L’opposition est par instant plus subtile, notamment lorsqu’elle fait se confronter les plaques d’acier posées au sol de Carl Andre (Fe 2 Cu Fe, 2002) avec les grandes pièces au mur d’Aaron Young, réalisées elles-mêmes au sol par le frottement des roues d’une moto contre la surface, dans une réminiscence absolutiste de l’Expressionnisme abstrait américain (The Sinners Club, 2009).

Les aller retour sont ainsi permanents et si l’éclectisme des Å“uvres forme la seule constante de l’exposition, les intentions se retrouvent jusqu’à tisser des connexions riches et inédites.
La pureté des lignes, la sobriété des matériaux associent instinctivement John McCracken avec les étonnantes sculptures de Koenraad Dedobbeleer empruntées au registre urbain. Ailleurs, le cérémonial pop planant au centre des œuvres débridées des Tom Burr, Aaron Young, Nate Lowman, Anselm Reyle, Thomas Kiesewetter trouve son origine dans les postures de Chris Burden ou les installations lumineuses de James Turrell.
Quant à la radicalité des pièces de Katja Strunz, mi-sculpture, mi-peinture, lointains échos du Constructivisme, elles partagent une certaine familiarité avec les structures ciselées et les matériaux bruts de Donald Judd, Carl Andre ou Sol LeWitt.

Le véritable enseignement de l’exposition serait peut-être celui-là. Si les questions esthétiques portent toujours sur l’intégrité du médium et les moyens de le dépasser, de le soumettre à une autre vérité, la génération des années 2000 prolonge et renouvelle les audaces des aînés. Avec une fraîcheur, une détermination et une maîtrise identiques.

Brancusi avait peut-être tort alors, il y a bien des graines qui poussent à l’ombre des grands arbres.

Liste des Å“uvres
— Aaron Young, Untitled, 2009. Béton et peinture.
— Aaron Young, The Sinners Club, 2009. Huile, caoutchouc et acrylique sur aluminium.
— Nate Lowman, Broken Zip, 2009. Métal oxydé sur socle.
— Nate Lowman, Untitled (Bullet Hole), 2009. Acrylique sur toile.
— Carl Andre, Fe 2 Cu Fe, 2002. Plaques d’acier.
— Carl Andre, Sland Quincy Island, 1963. Papier carbone sur papier.
— John McCracken, Cornet, 2000. Acier inoxydable.
— John McCracken, Ring, 2006. Résine, fibre de verre et contreplaqué.
— Dan Graham, Untitled, 2009. Miroir sans tain, aluminium, peinture acrylique.
— Dan Graham, Housing Project, 1982-1996. Photographie.
— Sol LeWitt, Horizontal Lines, 2005. Gouache sur papier.
— Sol LeWitt, Form derived from a cube, 1983. Bois peint.
— Chris Burden, Gold Bullets (pointies and roundies), 2003. Balles en or, bois et plexiglas.
— Chris Burden, Big Pointy 1, 2006. Polaroid imprimé sur papier.
— Katja Strunz, Untitled, 2009. Collage.
— Katja Strunz, Untitled, 2009. Collage.
— Katja Strunz, Untitled, 2009. Acier oxydé, bois, peinture.
— Thomas Kiesewetter, Untitled, 2008. Technique mixte sur papier.
— Koenraad Dedobbeleer, An Exterior Destiny To The Interior Being, 2008. Bois, formica et émail.
— Koenraad Dedobbeleer, Of Integration for the Thoughts, 2008. Dessin sur papier.
— Andrei Molokdin, After Malevitch, 2009. Bloc d’acrylique, pétrole brut russe.
— Andrei Molokdin, Horizon, 2009. Photographie, tubes acrylique, pétrole brut russe.
— Tom Burr, Black Vinyl Weil Board, 2007. Bois, miroirs, disques vinyle, punaises.
— Tom Burr, Vanity, 2008. Bronze.
— Frank Stella, Study For Bermuda Petrel, 1980. Acrylique, pastel, sérigraphie.
— Anselm Reyle, Untitled, 2009. Technique mixte sur toile.
— Anselm Reyle, Untitled, 2007. Bronze, optique chromé, patine, socle en laque noire.
— James Turrell, Image Stone: Moon Side, 1999. Photogravures.
— James Turrell, Crater’s eye, 2004. Bronze, plâtre.
— Donald Judd, Untitled, 1971. Résine acrylique et émulsion acrylique sur papier.
— Donald Judd, Untitled (Lascaux 89.53), 1989. Aluminium peint.

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