ART | CRITIQUE

Wade Guyton

PFrédéric-Charles Baitinger
@19 Mai 2008

Si le dicton populaire veut que la critique soit facile et l’art difficile, Wade Guyton a au moins le mérite de renverser cette proposition. Revendiquant son absence totale de technique et sa volonté de ne pas travailler, il est devenu, en quelques années, la nouvelle coqueluche de l’art contemporain — et le meilleur produit marketing des imprimantes Epson.

Fermez les yeux. Que voyez-vous ? Du noir ? Vous y êtes presque. Ajoutez-y maintenant quelques défauts (rayures, traces de doigts, saletés, poussières) et vous obtiendrez les monochromes imprimés de Wade Guyton. Bien sûr, pour que l’illusion soit parfaite, il vous manquera encore la lumière tamisée et l’atmosphère huppée de la galerie Chantal Crousel. Mais ce sont là des éléments qui ne font pas partie des oeuvres me direz-vous.  Ou bien alors faut-il considérer le lieu d’exposition comme étant la clé de leur valeur ? C’est à peine si j’oserais vous répondre.

Tâchons d’être un peu plus sérieux. Car Wade Guyton ne fait pas seulement des monochromes : «Ses œuvres assument la structure et l’apparence de peintures au sens traditionnel du terme, et réalisent pourtant un bouleversement complet des codes du modernisme» (site des Presses du réel). Ne riez pas ! Wade Guyton ne peint pas, il passe dans des imprimantes géantes des toiles de lin qui ne sont pas destinées à cet usage !
C’est révolutionnaire, Malévitch lui-même n’aurait pas osé en faire autant. (Voilà sans doute pourquoi un critique d’art avisé qualifia son travail «d’anti-suprématiste»).

Prenant à contre pied notre culture de la reproduction, Wade Guyton invente un nouveau type d’œuvre dont l’original même n’a pas d’aura. Un véritable coup de maître pour l’institution qui se nourrit de sa propre critique.
Dans son livre Modern Pictures, Scott Rothkopf écrit : «Wade Guyton était tellement suspicieux devant n’importe quel type d’investissement créatif trop évident que même le geste le plus basique le plongeait dans une crise existentielle».
Gageons alors qu’il a aujourd’hui surmonté sa crise puisqu’il a trouvé le moyen de faire une œuvre qui ne requiert de sa part aucun geste, ni aucune technique particulière.

Symptôme par excellence de notre société jugeant l’effort comme étant une valeur à dépasser, Wade Guyton en accomplit le rêve le plus paradoxal : produire des œuvres en quantité sans avoir à y investir la moindre somme de travail. C’est proprement génial! A n’en pas douter, au royaume des philistins de la culture où les curateurs sont rois, les toiles monochromes de Wade Guyton ont encore de belles expositions devant elles.

Wade Guyton
— Sans titre, 2008. Impression avec une Epson Ultrachrome. 213,4 x 175,3 x 3,75 cm
— Sans titre, 2008. Impression avec une Epson Ultrachrome. 213,4 x 175,3 x 3,75 cm
— Sans titre, 2008. Impression avec une Epson Ultrachrome. 213,4 x 175,3 x 3,75 cm
— Sans titre, 2008. Impression avec une Epson Ultrachrome. 213,4 x 175,3 x 3,75 cm
— Sans titre, 2008. Impression avec une Epson Ultrachrome. 213,4 x 175,3 x 3,75 cm
— Sans titre, 2008. Impression avec une Epson Ultrachrome. 213,4 x 175,3 x 3,75 cm
— Sans titre, 2008. Impression avec une Epson Ultrachrome. 213,4 x 175,3 x 3,75 cm
— Sans titre, 2008. Impression avec une Epson Ultrachrome. 213,4 x 175,3 x 3,75 cm

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