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Vu à la webcam (essai sur la web-intimité)

Cet essai tente de redéfinir l’espace privé et son positionnement par l’image via les webcams, au-delà de l’effet de mode. L’étude de quelques sites révèle la nature de ce phénomène : un nouveau mode relationnel loin du simple voyeurisme.

¨u8|Éditeur(s) : Les Presses du réel, Dijon
— Année : 2002
— Format : 21 x 15 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Page(s) : 176
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-84066-076-8
— Prix : 10 €

Moteur de recherche
par Nicolas Théry

Alors que dans le cadre de mes études universitaires je recherchais des informations sur les webcams, je n’ai bizarrement trouvé aucune littérature spécialisée concernant le sujet. Seules quelques pistes de réflexions, quelques textes d’écrivains et de journalistes. Dans un article publié dans Le Monde, Daniel Schneidermann dressait le portrait de deux jeunes femmes et questionnait sa position de voyeur. Dans Sexe et Solitude, l’écrivain américain Bruce Benderson racontait comment la webcam était intervenue dans ses aventures amoureuses sur le Web. Prolongeant sa réflexion sur la télésurveillance, Paul Vifilio avait également publié dans Le Monde Diplomatique deux textes consacrés aux webcams. C’est dans ce contexte surréaliste, d’un champ théorique quasi inexistant, que j’ai décidé de faire de la webcam l’objet de mon Doctorat en Esthétique et Sciences de l’Art.

J’ai commencé par explorer l’univers du Web et des webcams avec une certaine dose d’excitation et de plaisir, tout en étant conscient que défricher un territoire est toujours risqué. Je devais en effet relever le défi de porter une réflexion sur un objet d’étude inédit qui se constituait en même temps que se développait le phénomène des webcams. En ce sens, Internet questionne l’Esthétique autant qu’il redéfinit le rôle du chercheur. Actuellement, c’est dans la presse écrite que sont posés les premiers jalons du Web ; on ne compte plus les rubriques « Internet » dans les quotidiens et les magazines culturels. Dans ce domaine, les journalistes effectuent un travail de repérage et de défrichage considérable dont les chercheurs doivent être reconnaissants. Toutefois, il revient au chercheur d’occuper ce terrain d’enquête, d’être tout aussi actif que les journalistes, c’est-à-dire d’être témoin de l’émergence de formes d’expressions liées à Internet et d’être attentif à leur suivi.

Étudier les webcams signifiait pour moi être capable de suivre techniquement l’évolution des sites que j’étais en train d’observer. Comment, par exemple, une personne met en ligne un site assez rudimentaire puis commence à l’étoffer jusqu’à passer à un stade supérieur en acquérant petit à petit des compétences avec des logiciels de retouche d’images et d’édition de pages Internet. Je devais être capable de mesurer le degré de savoir-faire des webcamés, comprendre comment petit à petit, ils exploitent des logiciels tels que Photoshop et Dreamweaver.

Internet est un champ de recherche instable dans lequel l’éphémère et le changement sont des données fondamentales. Un chercheur en Esthétique qui élabore une réflexion sur un objet qui appartient au Web se doit d’avoir une certaine pratique de l’outil informatique tout en ’étant capable d’éviter les pièges des généralités sur l’histoire et le fonctionnement d’Internet.

Ce livre, qui est la reprise de ma thèse de Doctorat, est donc le fruit d’une approche volontairement méthodique, d’une certaine idée de l’Esthétique dans laquelle le chercheur adopte une position intermédiaire, faisant constamment des allers-retours entre la pratique et la théorie, tout en résistant aux clichés, afin de constituer avec minutie un objet d’étude, de le décrire très précisément, sans oublier les notions fondamentales et leurs enjeux. Ce livre n’est donc pas une enquête sociologique, ni une étude approfondie des webcams sous l’angle d’un phénomène de société, ni une apologie ou une sévère critique des « nouvelles images » et de la « nouvelle communication ». Ce livre a pour objectif de montrer qu’au-delà du cybersex, la webcam est la pièce maîtresse d’une web-intimité naissante sur le réseau Internet, qu’elle produit une image qui circule instantanément sur le Web et qu’elle instaure une esthétique de l’attente. Dans ce contexte, la webcam devient un objet de réflexion qui invite à repenser les autres pratiques de l’image, mettant en résonance des comportements et des attitudes ordinaires avec des tendances de l’art actuel, comme la manifestation de l’intime et le remake.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Les Presses du réel)

L’auteur

Nicolas Thély est journaliste, critique d’art et membre du Centre de Recherches d’Esthétique du Cinéma et des Arts Audio-visuels. Il enseigne à l’UFR d’Arts Plastiques et Sciences de l’Art de l’Université Panthéon-Sorbonne Paris 1.

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