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Vortex Temporum

Le spectacle débute avec 6 musiciens jouant une composition musicale nourrie de ruptures très marquées. Il n’y a pas de danseurs sur scène, juste une prestation musicale dans laquelle les solos sont faussement éparpillés, chaque musicien prenant au fil des notes, la répartie musicale de son voisin dans des postures théâtrales et des compositions musicales timbrées d’humour.

Sur le sol sont dessinés des cercles. 7 danseurs s’élancent et semblent mimer des mouvements d’athlètes, de lancers de poids avec des membres supérieurs étirés se jetant vers l’avant. Leur disposition sur la scène crée une configuration spatiale. Chacun joue son solo de danse mais à l’unisson des autres. Rien n’est fait sans l’autre, rien n’est fait sans la présence de l’autre. La scène se découpe en deux parties. Côté cour, les mouvements sont amples quand, côté jardin, ils sont légers, discrets et petits. Puis, au fil du spectacle, les danseurs dessinent de larges mouvements circulaires comme des planètes qui suivent des trajectoires elliptiques. La composition musicale du spectacle reprend l’idée de Pythagore d’un univers baigné d’une ligne mélodique céleste.

Anne Teresa de Keersmaker a choisi de distinguer danse et musique au début du spectacle pour mieux créer une osmose entre eux. L’un sans l’autre puis l’un avec l’autre avec une Musique qui peut être autant regardée qu’écoutée, une danse qui peut être autant suivie qu’appréhendée dans ses moindres mouvements. Danse et musique se retrouvent en osmose avec des danseurs qui accompagnent la musique dans ses moindres sautes rythmiques. Les musiciens jouent à l’unisson des danseurs en se déplaçant en arrière fond de la scène.
Puis un danseur fait un solo en se calant sur celui du pianiste qui avait été fait précédemment. Le solo corporel est fait de ruptures, de mouvements autant élancés, qu’arrêtés. Puis il prend la place du pianiste en jouant son instrument. Les mouvements de chaque danseur se suivent, se prolongent, s’interpénètrent pour se faire écho les uns aux autres. Chaque danseur devient le prolongement d’un autre. Ils composent ensemble une symphonie corporelle. Aucun danseur, même en solo, n’est réellement seul. Ou alors de façon intermittente pour être ensuite rejoint par les autres danseurs.

La musique participe à la danse, elle l’accompagne de bout en bout comme 2 sœurs jumelles qui se donnent la répartie. Au-delà de la musique et de la danse, il y a aussi les musiciens et les danseurs qui sont reflet les uns des autres, en osmose les uns par rapport aux autres. C’est la Danse qui s’immisce dans la Musique, la Musique qui s’immisce dans la Danse. Des «trahisons» avaient été faites par Isadora Duncan, Martha Graham ou Merce Cunningham qui opéraient un décrochage entre Danse et Musique voire en voulant abandonner la Musique de toute chorégraphie pour Cunningham. Seul le tempo du danseur pouvait se suffire à lui-même. Avec Anne Teresa de Keersmaker, suivant ces spectacles, ce rapport à la musique peut être inexistant ou très proche, avec des musiques autant traditionnelles, que Rock n’Rollesques ou classiques. Dans Vortex Temporum, la Musique est un élément à part entière dans la chorégraphie. La Musique devient source et prolongement de la Danse. C’est une chorégraphie où la Musique et La Danse existent par eux-mêmes pour opérer une communion artistique.

Le piano et les instruments à vent laissent leurs places aux danseurs. Un danseur prend même la place du pianiste. C’est un jeu de chaises musicales avec une partie musicale qui est superbement bien orchestrée. Elle prend sa place dans une chorégraphie où les danseurs ont différentes allures, différents moments, différentes tensions entre des arrêts, des courses, des mouvements au ralenti, élancés, glissés ou discrets. Ces danseurs font de grands déplacements autour de cercles tracés sur le sol sans les suivre pour autant. Il y a une harmonie artistique totale entre la Musique et la Danse. L’un n’appuie pas l’autre, l’un est l’autre.

Nous sommes dans une thématique de la relation, du rapport. Rapport d’une individualité à un groupe, rapport de danseurs à des musiciens, rapport d’une individualité à un monde et enfin rapport de la danse à la musique. Cette thématique des rapports sous-tend toute la chorégraphie. Dans un monde où la perte de repères, sociaux, politiques, religieux voire identitaires, pour le sexe masculin, devient de plus en plus présente, Anne Teresa de Keersmaker déplace cette perte de repères vers deux entités artistiques, danse et musique, et 2 éléments chorégraphiques, artistes et scène. Ces différentes relations nourrissent la thématique du spectacle dans un rapport qui trouve son étoile du nord dans l’autre, incarné par les musiciens et les danseurs, et dans un ailleurs, incarné par la scène, la danse et la musique où chaque artiste arrive à trouver ses repères.

Anne Teresa de Keersmaker a mis au centre de sa chorégraphie ces thématiques alimentées par un écheveau de ruptures. Ces ruptures, de façon très marquée, viennent nourrir le champ musical et celui de la Danse. Des accélérations, des arrêts, des mouvements au ralenti oscillent autour d’une gestuelle où les mouvements sont aussi amples que discrets. Ces mouvements ne sont pas forcément entiers emportant tout leur corps avec soi. Ils sont parfois décomposés dans leurs moindres mouvements. Autant les envolées musicales sont «brutales», en rupture les unes aux autres, autant les mouvements de danse démarrent de façon discrète. Au début du spectacle, les mouvements sont petits, au ralenti avec des danseurs à une place fixe. Puis la scène est de plus en plus investie dans son espace. Ce sont ces mouvements légers, presque au ralenti qui au fil du spectacle deviennent de plus en plus élancés. Il y a une harmonie corporelle entre les danseurs et les musiciens comme tenue par un même fil artistique.

Musique miroir de la danse. L’un miroir inversé de l’autre et pourtant l’un prolongement de l’autre. L’un s’immisce dans l’autre. L’un partenaire de l’autre. L’un reflet de l’autre. Comme chaque danseur est le prolongement des autres danseurs et des autres musiciens, comme les musiciens sont à la fois le relais de chaque musicien et de chaque danseur. Le solo, musical ou de danse, s’immisce dans un autre groupe artistique, de danse ou musical, et trouve son écho en lui. C’est l’individu qui fait corps avec ses 2 sociétés, ses 2 entités artistiques, comme une passerelle jetée entre 2 ponts pour les faire cohabiter.

L’Art devient plurielle, comme un village artistique où un danseur peut rencontrer un musicien sans se sentir dépossédé de lui. Car leur somme artistique, avec Anne Teresa de Keersmaker, est plus importante que ses parties.

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