documentation céline duval
Volet 1: Images déployées
Déployer les images, les rendre au désir, revitaliser leur imaginaire: le travail de Céline Duval, qui opère en tant qu’artiste sous le nom documentation céline duval, cible précisément ce dévoilement de foyers d’énergie dans ses archives photographiques.
Photographies d’amateurs, images de magazines ou photographies prises par l’artiste elle-même: cette matière passe d’abord par un regard qui collecte puis rejette ou garde, classe et hiérarchise, met en relation, comme pour mieux s’approprier et comprendre le monde.
L’approche sociologique de l’œuvre ne suffit pas ici, même si Céline Duval nous propose aussi un miroir de la société: à l’horizon des images de Céline Duval, se discerne moins l’Histoire ou l’évocation d’une époque, que le corps et son écriture dans l’espace.
L’artiste efface d’ailleurs les marques de vieillissement que le temps porte à la surface photographique par un minutieux travail de restauration, pour mieux regarder au présent ces êtres en plein envol ou portant le monde, ces figures qui convoquent l’air, la terre, l’eau et le feu.
Dans cette élection d’images reliées au corps et au geste, Céline Duval rejoint alors la performance, une forme artistique qui médite volontiers sa capacité à restituer la puissance éphémère –magique– de l’action.
Pour son exposition au Centre régional de la photographie Nord – Pas-de-Calais, documentation céline duval propose de confronter deux œuvres emblématiques de ses recherches récentes, la série de vidéos Les Allumeuses, et la série photographique Les Trophées.
Élaborées entre 1998 et 2010 à partir d’ouvrages de presse clairement parus dans ces années-là , la vidéo Les Allumeuses s’organise en plans séquences, cadrés sur des piles d’images découpées dans des magazines, classées méthodiquement par motifs, et posées au bord d’une cheminée où crépite une flambée.
La main de l’artiste vient prendre une à une ces images pour les froisser hors-champ puis les jeter au feu, activant les flammes reflétées dans l’image suivante. Aucun repentir n’est possible ici: la performance filmée est sans retour.
Ce classement minutieux révèle les diktats enfouis des tendances dans la photographie de mode, une forme d’inconscient collectif aux accents fétichistes ou pervers. Les mannequins se succèdent qui répètent la même pause, pointant leur index dans une direction donnée, portant une image, jouant à cacher leurs yeux, à maintenir l’équilibre, à sauter, à voler…
Les images de papier glacé défilent en gros plan, obsessionnel cortège qui porte haut le physique à la fois extraordinaire et banal des chairs de magazines lissées comme du plastique thermoformé. Dans tous ces clichés éclate le désir et le contraire du désir, la désincarnation du désir.
Le spectateur fixe obstinément ces corps déréalisés, perdus dans la magie perverse du numérique, attentif à retrouver les traces d’une palpitation humaine dans l’implacable chorégraphie des pixels. Ainsi, la vidéo Les Allumeuses alimente un curieux feu de joie, motivé par une volonté critique éloquente, où le féminisme du propos rejoint le genre de la Vanité.
Mais c’est aussi une réflexion sur le statut des images que nous suggère l’artiste: que transmettent ces images d’apparat et d’apparence? Comment et pourquoi les conserver, alors qu’elles ont «perdu leur chair»? Comment les montrer? Que comblent-elles des besoins d’une société «camée aux images»?
En contrepoint, la série photographique intitulée Les Trophées (2011) compile des performances sportives en plein air. Dans ces clichés amateurs, restaurés et imprimés en grand format sur plexiglas, les corps se découpent nettement dans le cadre: lignes bandées des silhouettes en solo ou figures géométriques des exploits collectifs, la photographie capte une matière sculpturale spatialisée dans le paysage.
Céline Duval fouille ici l’abstraction latente propre à ces images, en même temps qu’elle succombe à l’énergie tendre de ces édifices de chair, à l’expression ludique d’un dépassement de soi, en équilibre entre ciel et terre.
Des Trophées se dégage un charme intimiste et familial, où le plaisir des corps domine, sous-tendus par une solidarité du groupe. Pierre Leguillon évoque «le bonheur promis par les congés payés, immortalisé par la technique à la portée de tous»: mais au-delà de ce contexte, de façon très universelle, c’est la joie des corps en vie qui traverse cette série, dont chaque image condense une nécessité d’être au monde. (Eva Prouteau)