ART | CRITIQUE

Voiles, cordes, filets, parasols…

Vernissage le 09 Mar 2015
PFlorian Gaité
@09 Mar 2015

Sur une proposition de Blandine Chavanne, la nouvelle monographie de Claude Viallat au Musée des Beaux-Arts de Nantes est organisée autour du thème marin, déclinant une trame esthétique finalement assez peu mise en avant dans l’œuvre du peintre, faisant lien avec l’histoire portuaire de la ville. La voile pour toile, Claude Viallat installe un dialogue avec l’architecture de la Chapelle, guidé par un sens aiguisé du vide et du plein.

Investissant le très bel espace de la Chapelle de l’Oratoroire, Claude Viallat fait apparaître un vaisseau flottant, déconstruit et étendu à tout le volume. L’ensemble de l’exposition se présente en effet comme une installation unique, bien que décomposée, davantage qu’un parcours à travers une quarantaine d’œuvres isolées. «Voiles, cordes, filets, parasols», comme son titre l’exprime, s’inscrit dans la continuité des travaux entamés depuis la création de Supports/Surfaces: une recherche matérielle et picturale épurée de toute référence symbolique.
La monographie permet de retrouver, adapté à l’univers maritime, le vocabulaire plastique de Claude Viallat qui démontre ici sa faculté à révéler tous les possibles de ses matériaux. A travers la thématique du monde marin, il se remémore son enfance sur les quais des ports et les rives de canaux en Camargue, dont il ravive l’esprit bricoleur et la curiosité.

A l’entrée, la seule toile sur châssis rend hommage à Matisse en même temps qu’elle évoque l’eau du Rhône et de la Méditerranée. La Vague reprend du peintre fauviste le principe de répétition, le choix des couleurs et la simplicité formelle qui guident la pratique de Claude Viallat. Omniprésent, son motif propre, travaillé depuis ses débuts, est reproduit dans quasiment toutes les œuvres peintes. Apparue par accident, cette forme libre n’est ni assimilable à la géométrie, ni à l’organique; il est difficile d’y projeter une figure ou d’y déceler un signe. Les toiles déclinent ce pattern en plusieurs couleurs; le bleu domine, les couleurs primaires (jaune, rouge, vert) l’accompagnent, mais Claude Viallat mobilise dans toute l’exposition une large palette, du teint très franc à la trace quasi effacée. Ces empreintes multipliées sont reproduites sur des toiles sans châssis, sur des voiles de dériveurs, de planches-à-voile, de parapentes, des toiles plastifiées, des parasols troués. Complétés par la corde, le filet, le tissu et le bois, ces matériaux simples et malléables installent une esthétique du quotidien, une décoration triviale qui tranche avec l’ornementalisme baroque de la Chapelle.

L’accrochage est entièrement pensé sans cimaises, les œuvres étant accrochées, suspendues ou posées au sol, dans un subtil mélange entre le vide et le plein. Le regard d’ensemble jeté sur ces toiles déployées à travers les volumes ou accrochées sur la hauteur des murs donne une impression ambigüe, le sentiment d’être dominé par du vide, ou écrasé par du léger. Les voiles créent des effets de respiration tout s’imposant à la vue, quand les filets donnent aux murs une illusoire porosité.

Sur l’ensemble des voiles présentées, deux, catalane et vénitienne, conçues pour la Biennale de Venise en 1988, n’ont pas été remontrées depuis. Ornées des couleurs de Véronèse et des paysages de Vénétie, ces dernières font lien avec la cité lacustre sans rompre avec l’investigation matérialiste du peintre. Claude Viallat en désublime par exemple l’effet de drapé en laissant les agrafes et les coutures apparentes. Dans leur prolongement, la grande pièce centrale (9 x 2m), produite pour l’occasion à partir d’une voile de parapente, en réunit des morceaux en deux triangles, deux fanions ou deux flèches, qui s’opposent à leurs pointes. Entourée de filets suspendus, elle surgit comme par effraction dans l’espace de la Chapelle et lui impose ses relâchements et ses tensions.

Accrochées au mur, les toiles en voiles ou en parasols reprennent le principe du patchwork, de l’assemblage intuitif de morceaux découpés puis réassemblées de manière disparate. Les cerceaux de bois, dont douze assemblés en un sous-ensemble, sont remplis de morceaux d’étoffes, des broderies, des filets, des tapisseries, déchirés ou découpés. Claude Viallat met en place des dispositifs de correspondance entre certains d’entre eux et les couronnes ornementales de l’architecture baroque. Dans une niche, une sculpture — un tressage de nœuds de huit débordée d’une corde qui pend jusqu’au sol où elle s’échoue enroulée — fait contraster l’élégance de l’arabesque et la lâcheté du matériau, créant en outre un ingénieux dialogue avec les pilastres.
La référence à des pratiques artisanales — le maillage, le tressage, la broderie — est particulièrement présente dans le travail sculptural de Claude Viallat qui dispose au sol six sculptures en corde (grilles, filets, nœuds marins grands formats) qui quadrillent l’espace. Avec le motif nodal (nœud du signe, romain ou de huit), il interroge un système formel présent au quotidien qui, du bijou au garrot médical, reste souvent inquestionné dans la vie ordinaire.

Conçue à la suite de la rétrospective montée à l’automne à Montpellier, cette monographie pourrait bien en être un prolongement. Au-delà de voir les deux pièces historiques de la Biennale de Venise et les deux œuvres produites pour l’exposition, son point fort réside surtout dans la façon dont Claude Viallat s’empare du lieu pour réaffirmer sa vision de la picturalité. En ramenant la manière à ce qu’elle a de plus trivial, de plus concret, il s’agit bien pour lui de profiter du contraste avec la vocation religieuse de l’architecture pour mieux désacraliser la peinture.

Å’uvres

— Claude Viallat, La Vague, 1965. Ripolin, pigments et gélatine sur toile sur châssis. 117 x 130 cm
Courtesy Musée des Beaux-Arts de Nantes et Atelier de l’artiste
— Claude Viallat, Sans titre, 2015. Acrylique recto verso sur voile de parapente. 900 x 200 cm
Courtesy Musée des Beaux-Arts de Nantes et Atelier de l’artiste
— Claude Viallat, Nœud du singe, 1971. Corde de bateau nouée, brou de bois.∑ 460 x 50 cm
Courtesy Musée des Beaux-Arts de Nantes et Atelier de l’artiste
— Claude Viallat, Sans titre, 2013-2014. Douze éléments: cerceaux de gymnastique et tissu. 60/70/80/90 cm de diam.
Courtesy Musée des Beaux-Arts de Nantes et Atelier de l’artiste

Expo
Claude Viallat, « Voiles, cordes, filets, parasols… »
Musée des Beaux-Arts de Nantes
Du 27 février au 17 mai 2015

 

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