C’est l’époque des vœux et des souhaits…
Mais peut être que cette année certains vœux ressemblent à des chimères. Pour les arts plastiques l’année 2011 commence comme on le craignait tous. Et ce n’est qu’un début…
Pour le 19, Crac,
La région vient unilatéralement de réduire de 30 000€ sa subvention. L’État gèle 6500€ de sa subvention avec de grosses probabilités qu’ils ne soient jamais versés. Cela rend nos conditions de fonctionnement plus que difficiles. Et cela risque de s’aggraver.
Mais nous ne sommes pas les seuls dans ce cas.
Un très grand nombre de centres d’art vont voir leur existence même être mise en péril dans les mois qui viennent. Ils connaissent déjà des conditions précaires d’existence. Leurs personnels (pourtant la plupart hautement qualifiés) connaissent une déqualification exceptionnelle dont témoigne l’écart entre le niveau de qualification requise et la hauteur des rémunérations proposées.
Ce qui nous attend, c’est la disparition programmée d’un grand nombre de centres d’art. Et pour l’existant, il semble que la philosophie générale soit: «Moins c’est mieux!» qu’on habille en «Donner moins et faire mieux!»
Ceux qui pensent que la disparition des uns va sauver les autres, que cela permettra de «séparer le bon grain de l’ivraie» et de garder les meilleurs, ceux qui choisissent ce moment pour durcir l’accès aux associations professionnelles se trompent lourdement !
Certains prétendent que le marché et le privé vont revitaliser tout cela et ouvrir des espaces de liberté…
Quand on voit comment le comité directeur de la Fiac par exemple, impose aux galeries qui postulent, en plus d’un prix élevé, un droit de véto sur les artistes qu’ils peuvent ou ne peuvent pas exposer(je connais au moins 2 galeries qui n’ont pu participer qu’à condition, pour l’une, d’accepter de se limiter aux représentants d’un mouvement artistique historique et, pour l’autre, de se plier au refus d’exposer deux de ses peintres qui lui avait été signifié), permettez moi d’avoir les plus grands doutes.
Et pour couronner le tout, nous voyons revenir l’ordre moral et les incitations à l’auto-censure généralisée (le double exemple de l’exposition Larry Clark et de l’exposition de la MEP dont la dernière exposition consiste à présenter le contraire de ce que son titre — «Autour de l’extrême» — annonce), les inquiétudes qui saisissent nombre de ceux dont le «sujet» d’exposition ou la publication peuvent prêter à réaction, l’absence d’une proposition de changement d’une loi qui permet depuis plusieurs années à n’importe quelle association du type ligue de moralité ou intégristes de la culture d’envoyer en justice artistes et commissaires d’expositions, tout cela est symptomatique d’une société qui, les lampions du festif et du ludique éteints se révèle de plus en plus délétère.
L’austérité culturelle va toucher nombre de centres d’art qui, de Quimper à Metz, de Tanlay à Brétigny et de Brest à Marseille, mènent une activité de soutien à la création, de diffusion de l’art contemporain dans sa diversité, et contribuent par leurs actions pédagogiques et culturelles à élargir le public de l’art. De mille façons, ils mettent en pratique cette belle maxime qu’avait opposée Antoine Vitez à ceux qui critiquaient «l’élitisme» de son activité: être élitiste pour tous.
Si la politique du gouvernement s’oriente vers une restriction dramatique des moyens mis au service de la création, nombre d’élus de la majorité comme de l’opposition anticipent, voire aggravent, ces tendances à l’œuvre. Cela compromet gravement l’avenir des centres d’art. Mais c’est aussi les conditions mêmes d’exercice de l’art sous tous ses régimes qui sont mises en danger. Dans ce contexte les arts plastiques sont les plus fragiles, donc les plus menacés.
Si l’on voyait peu dans la presse une couverture des manifestations produites par les centres d’art en région, on y verra par contre se multiplier les actes de décès. Puis, cela rentrera dans l’ordre des choses. Et on n’y portera plus attention… jusqu’au jour où l’on marchera dans un désert.
Les quelques manifestations rutilantes comme celles de Versailles, la Biennale de Lyon ou les «Nuits blanches» de Paris cachent mal la misère générale de l’art contemporain au quotidien en France. Peut-être serait-il temps que la presse spécialisée et les quotidiens se fassent l’écho d’une situation qui va prendre les allures d’un désastre national. Ce que je dis du futur proche qui semble offert aux centres d’art vaut aussi, mutas mutandis, pour les écoles d’art et les frac.
Et aux naïfs qui rêvent que cela permettra à ceux qui vont rester de disposer de plus de moyens, la réalité se chargera d’apporter vite un cruel démenti !
Dans ce contexte, les discours sur la nécessité d’avoir des artistes entrepreneurs et d’en finir avec les artistes «assistés», outre le mépris dont ils témoignent, sont de la poudre de perlimpinpin qui n’arrive pas à cacher le processus de destruction du vivier artistique et la mise en place d’un monde de l’art à deux, voire trois vitesses. Il y aura ceux très peu nombreux qui auront les ors du marché et les autres qui connaitront les bonheurs de l’adversité. Bien sûr me rétorquera-t-on, on n’est pas les seuls à connaitre les restrictions.
Il est exact que la santé, l’enseignement, la recherche et le secteur social connaissent aussi de véritables raz-de-marée, à l’exception de la police qui semble promise à un avenir radieux.
Mais quand on sait le peu que représente dans le budget celui de la culture qui fait déjà moins de 1%; et quand on sait dans ce budget, la part ridicule de l’art contemporain, décider de nouvelles mesures de réduction, c’est aller vers le degré zéro de la politique culturelle…
Dans l’attente de vous voir ou le plaisir de vous lire
Je vous envoie mes meilleurs voeux pour 2011
Philippe Cyroulnik
Directeur du 19, Centre d’art régional d’art contemporain de Montbéliard