Léo Dorfner
Vivre dans la peur. Rock’n’roll runaways
«She doesn’t believe what she heard at all
Hey, not at all
She started dancin’ to that fine fine music
You know her life was saved by rock ‘n’ roll
Yeah rock ‘n’ roll»
The Velvet Underground, Rock’n’roll (1970).
L’œuvre de Léo Dorfner ouvre une infinité de portes sur un univers quotidien d’où il puise ses références, ses figures, ses mots et ses sons. On y trouve des paquets de Gitanes, des peaux tatouées, du texte, du rock, des femmes, son quartier (le XIIIe arrondissement) et ses amis. Un microcosme, le sien, qu’il restitue par la photographie, qu’il transpose sur le papier, au pinceau ou au stylo, et qu’il grave sur des objets.
Pour cette exposition, il nous invite à entrer dans un sanctuaire profane et baroque & roll. Inspiré par la générosité des accrochages dixneuvièmistes, par la magie des cabinets de curiosité et par les murs tapissés de vinyles d’un studio d’enregistrement, l’artiste s’empare de l’espace de la galerie comme il s’empare de la peau de ses modèles. «Vivre dans la peur. Rock’n’roll Runaways» engage une immersion du corps, du regard, de l’esprit et des sens. Par le recouvrement, il appose sa signature.
Ainsi, nous pénétrons son imaginaire, ce qui le nourrit et le construit. Léo Dorfner photographie son quotidien, les images sont ensuite filtrées par la peinture et le dessin. Depuis 2007, il élabore un répertoire de signes et de symboles qui forment une résille sur les peaux de ses amis, de ses amours et de ses rencontres anonymes.
Aux titres et aux extraits de chansons rock, il juxtapose des sms reçus ou envoyés, des citations, des slogans, des conseils de précaution, des insultes et des symboles (pintes de bière, tête-de-mort, clés, ampoules, cœurs, avions et pénis constituent un alphabet). Les registres s’entremêlent: du sacré au profane, du personnel au collectif, du passé au présent, du trash au maniérisme. Iconoclaste et transgressif, il fait exploser les hiérarchies traditionnelles en instillant des référents issus de son inimité et des subcultures.
Ainsi une madone tatouée fume une cigarette, une sainte en sous-vêtements porte une hachette, une Piéta est colonisée de signes et d’aphorismes. Les sources iconographiques sont d’origines multiples puisque l’artiste peut aussi bien peindre le portrait d’un proche, recouvrir une gravure ancienne achetée sur Internet, arracher une page d’un magazine de mode ou encore photographier ce qui l’entoure. Le banal et le grandiose dialoguent ensemble.
La représentation de la figure humaine joue un rôle crucial. Les corps, dans leurs réalités, sont restitués avec une attention particulière aux détails. L’environnement et les vêtements sont secondaires, ils posent un contexte, le véritable sujet reste la peau. Ses défauts comme ses charmes, révèlent les failles, les forces et l’intimité de chacun des modèles. Au même titre que la toile ou le papier, la peau devient un medium. Nue, elle est le révélateur d’une personnalité rendue unique, d’une relation privilégiée, d’une tendresse, d’une admiration; tatouée, elle est le support pour une écriture personnelle.
L’œuvre de Léo Dorfner contient l’ardeur, l’insolence, le rythme et la poésie du rock. À travers les références autobiographiques, les emprunts historiques et actuels, il dresse le portrait d’une génération qui oscille entre la recherche de paradis perdus et la fureur de vivre.