Thomas Lévy-Lasne
Visiblement
Thomas Lévy-Lasne célèbre «le fait qu’il y ait quelque chose plutôt que rien». Sans être ostentatoire, son travail nous prouve qu’on peut prendre le monde contemporain à bras le corps et s’inscrire dans l’histoire de l’art. Une peinture comme Laetitia au lit qui montre une jeune femme nue, allongée avec un MacBook, est à la fois une icône de notre temps et une actualisation sans manière de la Vénus au Miroir de Velázquez. Le rendu subtil de la peau et des plis de la couette Habitat témoigne de l’engagement du peintre dans le moindre détail. Comme objet de peinture, une bouteille de Coca Light ne mérite pas moins notre attention qu’un iPhone, des tags sur les cabines téléphoniques, une robe transparente, des gobelets en plastique ou une chute de rein gourmande. Pour nous le prouver, Thomas Lévy-Lasne s’impose un régime très strict: tout rendre avec la même tendresse, chercher l’expression juste pour chaque objet.
L’exposition apparaît comme un condensé des réponses qu’il donne à une question qui l’obsède depuis des années: Qu’est-ce qui se passe quand il ne se passe rien? Pour y répondre, il est prêt à travailler mois après mois, 12 heures par jour, pour peindre une rue apparemment banale, une tablée de fin de fête, un couple absorbé dans ses pensées respectives, ou des touristes face à une installation. Son implication se fait sentir: ses meilleurs tableaux nous permettent de retrouver le goût d’un monde si familier que nous ne savions plus le voir, un étonnement. Si les sujets diffèrent avec le support, tout est empreint d’un réalisme très personnel qu’il oppose de front à l’hyperréalisme d’une certaine peinture contemporaine. S’il travaille d’après des montages photographiques, Thomas Lévy-Lasne abhorre pourtant les effets que la peinture emprunte à ce médium: pas de flous optiques chez lui.
Une production plus discrète, mais non moins palpitante, accompagne sa peinture à l’huile: des aquarelles de fêtes et, fruit des dernières explorations en date, des dessins de webcams, ici exposés pour la première fois.
Son travail s’enracine directement dans sa vie. Evoquant ses aquarelles de fêtes dans un entretien, Thomas Lévy-Lasne explique: «J’aime faire la fête et je me sens terriblement coupable quand je ne travaille pas, j’ai l’impression de mourir plus vite. C’est comme ça que m’est venue l’idée d’en faire des aquarelles». Dans ses prises de parole comme dans sa peinture, il se tient comme un funambule sur la ligne mince qui sépare la banalité du sublime. La tension entre la scène ordinaire, le cadrage de type photo ratée et le médium de l’aquarelle, confèrent à la série des fêtes une beauté difficile à décrire.
Les dessins au crayon rendent compte de ses visites régulières sur un site internet de webcams sexy. Comme un chasseur de papillons, il y cherche la bête ou le moment rare où l’individu apparaît derrière la pose et l’action sur commande. Il prend un plaisir fou à révéler les détails qui échappent aux protagonistes mêmes: le poster Harry Potter sur le mur du fond, un regard mélancolique ou stupéfait gode à la bouche, un moment de tendresse là où n’attendrait que du cul. Il redessine ces scènes sans forcer le trait, et leur confère une persistance qui s’oppose au caractère foncièrement passager du sexe en live.
Coucher de soleil ou scène d’orgie, ses œuvres sont autant de tentatives de nous faire partager «un énorme appétit d’apparences» qui caractérise la pratique de Thomas Lévy-Lasne, visiblement.