Pièce double, Chukrum – Petruska (2018), du chorégraphe italien Virgilio Sieni, réinterprète en deux temps le ballet d’Igor Stravinsky (Petrouchka, 1911). Petrouchka, c’est l’histoire d’un pantin pas tout à fait humain, pas tout à fait pantin. Igor Stravinsky l’a imaginé comme une marionnette impétueuse, exaspérant l’orchestre avec sa gestuelle facétieuse. Un orchestre qui lui répond alors par des déluges de notes. Comme pour le domestiquer, ou l’humaniser. Mais surenchère : le ballet tourbillonne et met plutôt en avant la turbulence des corps. Dans leurs désarticulations comme dans leurs emportements outrés. Reprenant la musique d’Igor Stravinsky, Virgilio Sieni en fait un ballet pour six danseurs éthérés. Jeu de voiles et de tulle, au niveau des costumes comme du décor, Petruska souligne par le dépouillement la mécanique du mouvement. Et la sobriété de la mise en scène laisse ainsi toute la place à la musique comme aux gestes.
Chukrum et Petruska, de Virgilio Sieni : une double pièce autour du pantin
Obsession moderne que celle de l’automate émancipé, Virgilio Sieni exacerbe, avec Petruska, la dualité du personnage. Entre machine et ange, la marionnette se compose ainsi une existence faite de mouvements. Elle existe telle quelle : par et dans la danse. À cette réinvention du Petrouchka d’Igor Stravinsky, Virgilio Sieni adjoint une pièce fonctionnant comme un préambule, ou une postface. L’opus Chukrum est interprété par les six mêmes danseurs — Jari Boldrini, Ramona Caia, Claudia Caldarano, Maurizio Giunti, Giulia Mureddu, Andrea Palumbo. Et sur la musique contemporaine de Giacinto Scelci (1905-1988), Chukrum plonge dans le trouble de l’âme. Comme chez le chorégraphe Marcos Morau (avec Pasionaria, 2018), peut-être s’agit-il de rendre palpable le dilemme. À savoir que la seule façon de palier la fracture entre la marionnette et l’ange réside dans l’humanisation. Une humanisation qui ne saurait faire l’économie de la part d’horreur.
Entre Igor Stravinsky et Giacinto Scelci : la naissance de l’être humain
Jouant sur le trouble de la vue, Chukrum brouille les visages et les corps, pour ne laisser apparaître que des ombres mouvantes. Une beauté aussi floue que magnétique, où l’optique du dispositif (un écran translucide) permet parfois de capter la précision d’une main, d’un bras. Dès lors qu’il se colle à la vitre. Mais une précision qui ne tarde pas à se refondre dans le brouillard. Lumière diffuse, Chukrum inquiète, comme la composition sonore, lancinante, de Giacinto Scelci. Contrepied au Petrouchka d’Igor Stravinsky, Chukrum incarne la naissance humaine. Aux limites de l’informe : l’être humain se structure lentement, il apparaît. Comme un entité intrinsèquement ambivalente, dont il n’est pas possible de ne garder qu’un aspect (disons le meilleur) pour en laisser le reste. Double pièce, la lenteur de Chukrum continue de résonner au sein de la légèreté burlesque de Petruska. Telle une ode douce-amère à l’ambivalence humaine.