Pierre-Evariste Douaire.Tu es un artiste français mais peu visible dans l’hexagone pourquoi ?
Vincent Leroy. J’ai beaucoup moins de mal à exposer à Londres, Berlin qu’à Paris, cela me permet de voyager. Même si le Japon me propose quelques expositions je suis de retour.
La galerie Baumet Sultana t’as donné une double carte blanche à la fin de l’année. Pourquoi deux expos consécutives ?
Vincent Leroy. La décision a été prise en commun avec la galerie. Le nombre de pièces le permettait. La galerie s’est transformée en vitrine. J’aime cette idée que les choses changent à chaque fois.
Quel était le parti pris des deux expositions ?
Vincent Leroy. Les œuvres étaient nouvelles, elles n’avaient jamais été montrées. Elles permettaient un vrai échange avec le public qui pouvait entrer dedans, les sentir, avoir un vrai contact. Les sensations étaient privilégiées et les expositions globales. Ce type de pièce s’adresse moins au regard qu’à tous les autres sens.
Parle nous des pièces exposées.
Vincent Leroy. Electric Flower est une installation de fleurs mécaniques motorisée. L’unique pale de la tige se met à tourner, et son déséquilibre provoque une vibration. Elle se métamorphose immédiatement en fleur alors qu’il s’agit de l’assemblage d’une feuille de carton et d’une tige métallique.
Respiration avait été montrée à Berlin et à la Biennale d’art contemporain de Lyon (2005). Ce sont des bulles de trois et quatre mètres de diamètre qui se gonflent avec l’aide d’un ventilateur pendant une quinzaine de secondes. Le système consiste à gonfler et à dégonfler ces poches d’air. C’est par le gonfleur que l’air pénètre et c’est par lui qu’il ressort. Par ce va-et-vient une respiration artificielle se crée. En couplant les bulles entre elles, en programmant les ventilateurs, une sorte de vague, de mouvement, d’aller-retour se met en place.
Quels sont tes inspirations ?
Vincent Leroy. Je ne sais pas d’où viennent mes idées. Je suis assez curieux, je regarde toujours autour de moi lors de mes voyages à l’étranger. C’est là -bas que je puise ma créativité. Je pose un regard sur tout ce qui nous entoure, mais pas spécialement sur le monde de l’art. Je m’intéresse beaucoup à l’univers technique, industriel, urbain. Je trouve cet éveil plus à l’étranger. La première fois que je vois ces nouveautés j’ai envie de les traiter à ma manière.
Quel a été ton déclic pour Electric Flower ?
Vincent Leroy. Ce n’est pas lié à quelque chose de précis. C’est un principe mécanique qui en est à l’origine. Le déséquilibre de la pale et la magie de son inertie sont à la base du projet. En tournant, en perdant l’équilibre cette pale développe quelque chose de spécifique et d’intraduisible. Elle ressemble à un hélicoptère fou. C’est ça le point de départ.
Et pour Respiration ?
Vincent Leroy. Je fais beaucoup de petites expériences dans mon atelier, pour tester des phénomènes physiques. J’ai envoyé de l’air dans une poche de plastique et j’ai découvert toute une richesse de possibilités. A partir de cette simplicité, de cet air qui s’en va, il y a toute une vie qui se matérialise.
Moucharabiehs (2005) est une sculpture cinétique ?
Vincent Leroy. C’est une expérience entre deux tôles perforées qui se superposent. A partir de là une magie s’opère, quelque chose se passe. C’est un phénomène intriguant, surprenant.
Quel est l’apport de l’art cinétique dans ton travail ? Â
Vincent Leroy. J’ai ingurgité l’art cinétique très tardivement. J’ai tout découvert sur le tard : Takis, Duchamp, etc. Mais mes références sont plus contemporaines, plus technologiques. Je mélange tout, et mon travail ne se limite pas à ce simple apport. Beaucoup d’artistes travaillent avec le mouvement sans pour autant se revendiquer de l’art cinétique. Cet aspect de leur travail n’est qu’une dimension dans leur démarche.
Le mouvement est la quatrième dimension qui s’invite dans les œuvres. Au lieu d’être limitatif il couvre tout un champ d’investigations possibles. Associé à tous les nouveaux médias, il provoque de nombreuses possibilités. Le mouvement permet d’appréhender différemment l’objet. Une démarche dans la rue, une silhouette aperçue modifie notre rapport aux personnes. Le mouvement anime mes pièces, je tente d’intégrer toute cette richesse à mon travail.
Tes sculptures en mouvement sont de l’ordre du bidouillage ou de la haute technologie ?
Vincent Leroy. La technologie actuelle laisse penser que tout est possible, mais elle nous impose encore certaines limites que j’intègre à mon processus créatif. Les mouvements simples sont toujours à la base de mes travaux. Sans être à la recherche d’une technologie de pointe, les moteurs utilisés sont très performants. Je ne les trouve qu’en Asie, en Chine et au Japon. Certains composants n’existent que là -bas. La sophistication technologique est au service de mouvements simples. Je refuse que les œuvres exposent leur mécanique. Les moteurs sont des outils vitaux mais ils doivent s’effacer derrière l’œuvre.
Pourquoi t’intéresses-tu au mouvement ?
Vincent Leroy. Je pars toujours d’une expérience, d’un bricolage, d’un morceau de carton et de quatre points de colle. Ensuite un déclic se produit et me montre le chemin à suivre. Je suis autant surpris que spectateur de la magie qui se dégage de ces moments. Il faut capter l’inattendu et ensuite l’analyser pour pouvoir l’exploiter et l’intégrer aux œuvres. Il y a dix ans elles étaient plus mécaniques, la technologie était plus présente, plus visible. Aujourd’hui le mouvement est plus fluide, plus naturel.
Tu aimes les mouvements lents ?
Vincent Leroy. Je mets beaucoup de lenteur dans mes sculptures. Je travaille le mouvement à partir de la lenteur. Je le ralentis anormalement pour mieux en comprendre le phénomène. Cette décomposition explique et intrigue à la fois. La lenteur fait naître la magie. La photographie depuis longtemps décompose les mouvements. Nous sommes habitués aux temps de pause très longs qui laissent traîner le temps. Tout cela est intégré depuis longtemps à notre imaginaire, mais il me semble important de continuer à analyser cette lenteur. Il est nécessaire de vivre cette expérience physiquement, de se confronter aux mécanismes qui visualisent ce ralentissement.
Éventail d’éventails illustre très bien cette lenteur.
Vincent Leroy. Les lieux publics au Japon sont des rûches où les éventails bourdonnent, s’agitent. Les Japonais s’éventent très rapidement. En les voyants faire, j’ai tout de suite pensé à ralentir leur mouvement. Le geste une fois ralenti, décomposé, devient magnifique. A la télévision les ralentis en sport sont merveilleux.
Quel est le rôle du spectateur dans tes œuvres ?
Vincent Leroy. J’ai envie que le spectateur soit autant surpris que moi quand je découvre ces instants magiques. Je veux l’emporter dans ce voyage, dans cette petite histoire. J’ai envie de le séduire. Le format d’installation se prête bien à cette démarche. Les œuvres l’entourent et lui permettent de vivre totalement le phénomène. Je recherche ça, c’est volontaire, je n’aimerais pas qu’une distance le sépare de l’œuvre. A chaque fois je propose une expérience.
Respiration a été expérimenté à la Foire de Lyon dans une grande salle. A la galerie Baumet Sultana les trois bulles remplissait la galerie qui est aussi étroite que petite. Quelle était la meilleure configuration ?
Vincent Leroy. Les expositions sont des lieux propices à l’expérimentation. Je tente toujours des choses, je prends des risques à chaque fois. Au départ je pensais que Respiration s’adapterait mieux à un grand espace, mais en voyant la galerie Baumet Sultana j’ai décelé une autre possibilité. La confrontation entre les murs et les bulles était intéressante. Certaines personnes ont pu se sentir un peu bousculées par ces baudruches envahissantes. J’ai vu des enfants se coincer entre deux bulles et avoir les cheveux se dresser sur la tête à cause de l’électricité statique. [rires]
L’appropriation de tes sculptures par le public, comme cet exemple avec le petit enfant, c’est anecdotique dans ton travail ou c’est essentiel ?
Vincent Leroy. C’est anecdotique mais un jour où l’autre je reprendrais cet élément pour l’incorporer dans mon travail. Tôt ou tard je m’en resservirai.
En 2005 pour la Nuit Blanche, tu as conçu Champs mécaniques.
Vincent Leroy. C’est une installation de 2000 herbes, animée par le vent, étendue sur 2000m2, à la Pitié-Salpêtrière. Champs mécaniques est high tech, fluo, en plastique à l’opposé de son mouvement qui, lui, est naturel. J’ai joué sur cette dichotomie entre la technologie et la poésie. J’aime ce contraste, j’aime les associer pour mieux les marier. L’important est que le tout soit fluide, il faut arriver à mélanger et non à opposer, c’est un travail difficile mais tellement gratifiant à l’arrivée.
Tes installations sont éphémères, travailles-tu sur des projets plus durables?
Vincent Leroy. Je travaille sur un chantier immobilier privé à Strasbourg. En septembre prochain ma pièce s’étendra sur 600 mètres de long. Je reprends le système de Champs mécaniques en y incorporant de la lumière. Les herbes se dressent sur 6 mètres de haut. Elles sont illuminées et programmées pour qu’un halo blanc apparaisse et disparaisse progressivement. La lumière montera et descendra sur ces tiges comme une respiration. Le paysage urbain environnant est assez dur, il y a des voies d’accès piétons, des axes routiers. La proposition tentera d’apporter un peu de douceur. Le jeu de lumière se fera doucement, très lentement. C’est la première fois que je me lance dans ce type d’aventure. Le cahier des charges et les contraintes pour ce type de projet sont considérables, l’erreur n’est pas autorisée.
Pour ce type de commande tu travailles d’abord la pièce ou tu t’intéresses au lieu en premier ?
Vincent Leroy. Je fais un peu tout à la fois. Cela dépend de ma réflexion du moment. C’est le croisement du lieu et de la pièce qui donne le verdict : la proposition fonctionne ou pas. Normalement ces deux éléments parviennent à se marier, à se superposer.
Que préfères-tu, travailler des œuvres de salon ou des pièces monumentales ?
Vincent Leroy. Ce sont deux choses que je mène en parallèle et qui se nourrissent. C’est impossible de les distinguer ou de les opposer. En galerie, je mène des “expériences” qui me permettent de proposer des pièces “monumentales”. La galerie permet de prendre plus de risques que les projets urbains. Chaque travail est une étape. A chaque fois je progresse. A partir d’une “petite” expérience, d’une “petite” pièce je vais apprendre beaucoup. Ce savoir va me permettre de poursuivre et de tirer des enseignements que je vais pouvoir utiliser dans une autre pièce, “grande” ou “petite”.
A chaque expérience je jette le mauvais pour garder le meilleur et aller de l’avant. Les 2000m2 de Champs mécaniques exposé à la Nuit Blanche de 2005 est la conséquence directe de La Patience des autruches réalisée cinq ans plus tôt. Cette pièce était un bras d’un mètre de haut qui se levait et retombait. Ce n’était pas encore une herbe, mais ce mouvement de monter et de descendre avait en germe le futur travail. C’est par la suite, avec le temps, que j’ai synthétisé ce mouvement. C’est devenu une herbe, un totem qui garde ce balayage, cet aller-venu.
Tes projets ?
Vincent Leroy. Peut-être une installation pour la prochaine Nuit Blanche de Madrid. Mais depuis deux ans la plupart de mes œuvres ont trouvé des collectionneurs et il faut que je me remette au travail pour proposer de nouvelles choses. Je suis dans une phase de recherche de nouvelles œuvres, de nouvelles pistes.
Galerie Baumet Sultana
20 rue Saint Claude
75003 Paris
www.galeriebaumetsultana.com
www.vincentleroy.com