ART | CRITIQUE

Vinaigre

PLaurent Perbos
@01 Nov 2004

Où sommes-nous ? Intérieur immense, étendue désertique aux murs blancs comme seules limites. La vue est happée par l’absence de repères spatio-temporels. Rien à observer, pas de durée de visite déterminée. Le rythme biologique se ralentit à l’écoute de la voix répétitive qui donne le ton.

Comme un contrepoint à sa première exposition personnelle à la Galerie Yvon Lambert en 2001, Claude Lévêque sollicite à nouveau tous les sens avec sobriété. Si Ende plongeait le visiteur dans l’obscurité incertaine d’un lieu sans repère, c’est en pleine lumière que nous devons appréhender Ligne blanche. Éclairage, odeur et mélancolie imprègnent l’espace. Il se redéfinit alors. Limites très présentes et pourtant impalpables.

Œuvre synesthésique. C’est le parfum âcre du sol qui nous accueille dés l’entrée. De larges planches de bois nous portent vers une atmosphère étrange, gustative. Légers picotements au fond de la gorge. Sensation passagère. Lumière froide, blafarde et désuète face à l’espace à éclairer. L’aspect brut de l’ensemble souligne cette impression. Tout semble accrocher le regard. La main reste en retrait à défaut d’objet mais aussi peut-être par méfiance d’un contact désagréable.

Où sommes-nous ? Intérieur immense, étendue désertique aux murs blancs comme seules limites. La vue est happée par l’absence de repères spatio-temporels. Rien à observer, pas de durée de visite déterminée. Le rythme biologique se ralentit à l’écoute de la voix répétitive qui donne le ton. Elle restitue, à elle seule, la notion de temps jusqu’ici inexistante. La nostalgie s’impose et la chanson d’Adamo — « Tombe la neige, tu ne viendras pas ce soir… » — induit l’attente résignée de cette personne fantomatique qui nous accompagne.
Ne sommes-nous pas nous-mêmes dans l’expectative d’un dénouement ? Les mots s’écoulent par les huit enceintes qui rythment les parois de ce non-lieu. Pièce en attente d’être habitée. Possible réceptacle de souvenirs communs. C’est le visiteur qui dépose là son propre récit, sa propre expérience.

Que signifie le titre de cette installation Ligne blanche ? Est-ce une allusion au néon suspendu ? Ce n’est pourtant qu’un segment de lumière dans cette pièce hors échelle.
Continuité sans début et sans fin, sans point de rupture, la ligne est ailleurs. Nous sommes à l’intérieur, sans autre possibilité d’en sortir que celle de quitter la salle. Séparation, limite, l’installation toute entière nous coupe de l’extérieur où tout va plus vite. La blancheur environnante nous empêche de fixer notre œil. On tourne en rond dans cette boîte et c’est certainement là un contour imposé par l’artiste. La ligne blanche n’existe pas, ou plutôt si. Elle naît et disparaît avec les personnes qui auscultent la pièce et prend alors un visage différent lors de chaque rencontre.

Claude Lévêque
— Ligne blanche, 2004. Installation in situ. Dimensions variables.

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