Ce représentant de l’avant-garde new-yorkaise affiche volontiers ses références européennes, parmi lesquelles Andrei Serban, Jan Fabre, Frank Castorf ou David Bowie. Pour Vicious Dogs on Premises, Dan Safer met en place un dispositif d’une simplicité ingénieuse. Afin de pousser au paroxysme l’implication des interprètes, il ménage une belle place à l’aléatoire. Par un tirage au sort, chacun des performeurs se voit attribué une liste de tâches à accomplir, parmi celles que le public a pu étudier avant le début de la représentation.
A cheval entre écriture pointilleuse et improvisation délurée, la force de la pièce est à chercher dans ce mouvement incessant entre la contrainte et la liberté d’interprétation. Il s’agit d’une inventive structure modulable à volonté, certes avec des repères et des points de rendez-vous obligés. Selon ses aveux à vocation de manifeste, le chorégraphe a imaginé sa proposition telle une suite de « catastrophes orchestrées » en prenant comme défi de ne garder de la période de travail que les moments ratés, de ne construire qu’à partir des erreurs et des échecs. Les performeurs sont entraînés dans une perpétuelle découverte de leur partition et dans une course contre la montre. Chronomètre à la main, assis aux abords du plateau, Dan Safer marque par des coups de sonnette la fin de chaque séquence – poussant les interprètes à investir avec une justesse rare les moments les plus foutraques.
Le chorégraphe se met en scène en tant que premier spectateur de sa pièce. Il s’amuse et se laisse surprendre par les propositions de ses collaborateurs. Ses interventions souvent brutales, ses choix – de laisser le temps aux choses de s’installer ou au contraire, de rythmer la pièce par des coupures nettes – maintiennent les performeurs sur le qui vive, toujours prêts à basculer d’un état à un autre, d’une qualité de présence à une autre.
Malgré ces blocs disparates, une histoire se tisse en filigrane – histoire d’amour qui débute par un speed dating, manque de finir en divorce après une scène conjugale humiliante et se résout en un happy end calqué sur les films hollywoodiens. Tout cela sur fond de scènes de chasse aux sorcières où la pression du groupe, dans une émulation communiste, corporatiste, frôle la torture. Le rythme reste toujours survolté, véhicule un humour absurde, grotesque. Dans cette dépense d’énergie folle, les matériaux corporels les plus variés sont jetés en jeu. Il y va de corps désarticulés, segmentés, à l’instar de ce visage en très gros plan, flottant sur l’écran, des corps de zombies qui bavent et vacillent dans leur avancée vers le public. La parole dispose d’une place de choix et, à travers une traduction assurée en direct sur le plateau, la langue française, comme sonorité avant tout, solidifie le lien avec le public.
À la fin du spectacle Dan Safer retourne une à une les planches avec des indications vers la salle – il n’y a rien à cacher, chacun peut vérifier si tout y est – une façon pour le chorégraphe de dire que l’alchimie de la pièce se trouve ailleurs, certainement dans l’engagement intense, sans faille, de ses collaborateurs.
― Mise en scène, chorégraphie : Dan Safer
― Scènes théâtrales :Savania Stanescu
― Traduction : Hakim M’Barek
― Décor, lumières : Jay Ryan
― Son : Ryan Maeker
― Costumes : Pandora Andrea Gastelum
― Vidéo : Kaz Phillips
― Créé et interprété par : Heather Christian, Sean Donovan, Mike Mikos, Laura Berlin Stinger