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Via Sophiatown

Pourquoi avoir choisi de faire un spectacle autour de Sophiatown? Est-ce une façon de prendre une position politique? Ou simplement un travail de mémoire?
Via Katlehong Dance. Les deux à la fois, l’art et la politique sont comme frère et sœur. C’est une façon de réfléchir à de nouvelles approches artistiques, à un autre théâtre créatif qui puisse utiliser notre énergie pour évoquer des sujets liés à des questions sociales. Sophiatown, par exemple, est un très bon modèle pour notre nouvelle démocratie. Avant que le gouvernement d’Apartheid n’expulse les gens de leurs propriétés, c’était le seul endroit où la race n’était pas un problème et où des gens avec des cultures différentes, des origines ethniques différentes pouvaient vivre ensemble.

Comment avez-vous construit la pièce? Vous êtes vous inspirés d’événements réels?
Via Katlehong Dance. Oui nous nous sommes inspirés d’une histoire vraie qui s’est déroulée à Sophiatown au début des années 60. Nous ne sommes pas partisans de la fiction. Nous vivons dans un monde réel, nous sommes traversés par une réalité qui mérite discussion, qu’il est important d’explorer. Nous voulons être des artistes sud africains et nous pensons qu’il est important de rester en contact avec le monde riche — riche d’histoires et de traditions — qui est celui de l’Afrique du Sud d’aujourd’hui si nous voulons vraiment avoir notre mot à dire.

Via Sophiatown exploite des danses spécifiques à l’Afrique du Sud comme le gumboot ou la pantsula. Pouvez-nous dire ce qui fait la spécificité de ces danses?
Via Katlehong Dance. Le gumboot est très lié à l’esclavage minier. Il a été forgé par des hommes qui venaient de différentes cultures, de différents villages, et qui se sont retrouvés dans les mines d’or autour de Johannesburg. Ils n’avaient pas le droit de parler, ils étaient enchaînés, alors ils ont développé un système de communication avec leurs bottes et avec leurs chaines, faits surtout de coups et de percussions. À l’origine, c’était un code. Et puis, pendant les pauses, cela s’est développé en danse. Ils utilisaient les gestes des gardiens et des propriétaires de mines et les retournaient, jouaient avec, se les appropriaient à leur façon.
La pantsula est née dans les townships des années 50 et n’a cessé d’évoluer depuis. C’est un mélange unique de danse, de mode, de musique, de politique. C’est en fait une façon que les Noirs sud africains ont eu de coder en danse leurs expériences de l’Apartheid pour pouvoir les exprimer. Dans les deux cas, au fond, la danse sert à se réapproprier la possibilité de parler, son identité, sa fierté.

L’un d’entre vous a dit à un journaliste, «la pantsula n’est pas seulement une danse, c’est un mode de vie!» Quel mode de vie?
Via Katlehong Dance. La survie!

C’est la première fois que des danseuses rejoignent votre compagnie. Pourquoi avoir décidé de vous ouvrir aux femmes? La danse sud africaine est-elle très «genrée»?
Via Katlehong Dance. En fait, nous avons commencé à travailler avec une femme en 2011 en invitant Hlengiwe Lushaba à nous rejoindre pour un spectacle cabaret. Dans cette nouvelle pièce, il y a quatre danseurs et quatre danseuses. C’est lié à l’histoire même de Sophiatown où les femmes ont joué un important rôle politique. Mais il est vrai qu’à l’origine le gumboot ou la pantsula étaient spécifiquement des danses d’hommes. Elles sont nées dans des milieux masculins, elles parlaient de la dureté du travail, de la violence des rapports sociaux. Elles étaient moins une forme d’art qu’une forme d’expression de la culture populaire, une façon de négocier avec la réalité. Aujourd’hui, ce n’est plus la même chose. Il s’agit plutôt de célébrer un héritage que de vivre la danse dans les conditions sociales qui l’ont fait naître. Ces danses sont de plus en plus des formes d’art et du coup il y a de plus en plus de femmes qui se mettent à les danser, à se les approprier à leur tour.

Est-ce une danse très écrite ou relativement improvisée?
Via Katlehong Dance. Notre danse n’est pas écrite à l’origine. Durant le travail, elle est le libre flux d’individus uniques qui s’expriment, mais les improvisations restent liées à l’époque où se déroule l’histoire, ou au thème du spectacle. Ensuite, au cours des répétitions, tout est plus ou moins figé, nous décidons de garder des choses et d’en jeter d’autres mais nous laissons toujours la possibilité à des moments d’improvisation durant le spectacle.

Quelle est la situation de la danse aujourd’hui en Afrique du sud? Est-ce difficile d’y faire vivre une compagnie?
Via Katlehong Dance. Ce n’est pas très facile. Il n’y a pas beaucoup de soutien public à la danse car il y a tellement d’autres domaines plus urgents qui aspirent l’argent dans notre toute jeune démocratie. Et puis l’Afrique du Sud n’est pas une société qui a toujours témoigné un grand respect pour l’art. Mais, malgré tout, la danse innove toujours plus chaque année. Nous ne sommes pas encore arrivés mais la lutte continue…

Propos recueillis par Stéphane Bouquet, mai 2014

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