DESIGN | CRITIQUE

Via Design 3.0

PChristophe Salet
@15 Jan 2010

Sans lui, le design français ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Pour son 30e anniversaire, le Via investit le Centre Pompidou avec une exposition qui pourrait s’intituler « la preuve par l’objet » : 40 pièces sélectionnées parmi les 460 aides à projet et 65 cartes blanches attribués par l’association depuis ses débuts. Un véritable « hall of fame » des designers hexagonaux.

Les trois quarts des prototypes sélectionnés constituent les jalons d’un parcours chronologique qui s’étend de 1980 à 2009… ou plutôt de 2009 à 1980 puisque le visiteur pénètre dans l’exposition par les réalisations les plus récentes (d’où la consonance prospective de son nom «Via Design 3.0»).

Le dossier de presse nous informe que chacun de ces objets est représentatif « de l’esprit dominant de chaque année ». Une grille de lecture qui se révèle parfois obscure : en quoi la chaise Théophile de Marc Berthier ou le cabinet Houn d’Abdelkader Abdi, pris au hasard et quelles que soient leurs qualités respectives, symbolisent-ils les années 1984 et 1991 ? Les textes qui accompagnent chaque pièce n’apportent pas vraiment de réponse.

La très grande majorité des objets sont des variations sur la Sainte Trinité de la création mobilière : l’assise, la table, le meuble de rangement. Un choix qui ne reflète pas vraiment les efforts menés par le Via, en particulier depuis le milieu des années 90, pour explorer tous les composants de notre cadre de vie. Ce dont elle témoigne en revanche, c’est de l’évolution de nos comportements et de nos préoccupations, et comment ceux-ci se traduisent au niveau de notre habitat.

W at hôm, l’ensemble conçu par Matali Crasset en 1996 est ainsi une réflexion sur l’apparition de l’ordinateur dans l’espace domestique, et sur le raz-de-marée annoncé du télétravail. Véritable « bureau à la maison », le projet s’articule autour de quatre éléments, dont une arche de rangement de plus de deux mètres de hauteur et une colonne d’appareils électriques à l’allure de totem. Étrange vision monumentale pour un objet (l’ordinateur) associé à la dématérialisation de notre environnement…

La technologie est aussi au cœur des ensembles développés par Jean-Louis Fréchin  (Interface(s), carte blanche 2008) et Mathieu Lehanneur (Eléments, 2006), déjà mis en avant en 2009 par l’exposition «Design en mutation». Le premier transforme l’étagère en objet communicant, pourvu d’un écran numérique qui diffuse tout type d’informations ou de « chorégraphies lumineuses » (étagère WaSnake ELA). Le second conçoit des objets intelligents capables de réagir à la pollution sonore (diffuseur de bruit blanc dB) ou à l’insuffisance du taux d’oxygène dans l’air (générateur d’oxygène O).

Dernière carte blanche en date, l’ensemble Terroirs déterritorialisés de Philippe Rahm propose un système d’aération douce qui s’inscrit dans un programme de développement durable et de réduction de la consommation d’énergie. Ce projet emprunt d’une grande poésie vise à reconstituer la géologie et l’atmosphère parisiennes d’avant l’apparition de la pollution massive du XIXe siècle et du phénomène de réchauffement climatique. L’exposition ne permet hélas ! que de découvrir un seul des quatre objets issus de cette réflexion, un appareil compact double-flux en forme de chrysalide, contenant différentes essences de bois : l’air qui en sort reproduit en miniature une sorte de synthèse végétale de l’air de Paris…

Variation la plus radicale sur le thème de l’assise et ode à la « génération vautrée », les Cales humaines d’Olivier Peyricot semblent tout droit sorties d’un film de David Cronenberg. Ces coussins-prothèses investissent les espaces laissés vides par un corps assis ou allongé sur une surface plane. Aussi étranges que fascinants, ils parlent tout à la fois du décloisonnement des activités dans l’univers domestique (on travaille assis en tailleur sur un lit, on se relaxe allongé par terre) et de la recherche permanente d’un plus grand confort.

Au-delà de ces témoignages flagrants des bouleversements de notre univers domestique, l’exposition surprend par l’éclectisme des démarches engagées, de Philippe Starck à Philippe Nigro, de Garouste et Bonetti aux Radi designers, de Martin Szekely à François Azambourg. C’est que le Via n’a jamais été fidèle à aucune autre église que celle de l’innovation, qu’elle s’attache à ressusciter les savoir-faire artisanaux ou à détourner les derniers procédés de fabrication industriels, qu’elle revisite les formes du passé ou privilégie une expression individuelle. L’histoire fera le tri ou retiendra tout en bloc, qu’importe tant que le Via reste ce fertile terrain d’expérimentation qui manquait tant au paysage national. Viva Via !

Marc Berthier
— Chaise Théophile, hommage à Jean Prouvé, carte blanche Via1984. Edition Via Diffusion.
Abdelkader Abdi
— Cabinet Houn, 1991. Edition Via Diffusion.
Matali Crasset
— W at hôm, carte blanche Via1996. Non édité.
Olivier Peyricot
— Coussins morphologiques de confort Cales humaines, produit Via 2002. Editon Edra sous le nom de Body Props.
Mathieu Lehanneur
— Générateur d’oxygène O, ensemble Eléments, carte blanche Via 2006. Non édité.
Philippe Rahm
— Terroirs déterritorialisés, carte blanche Via 2009. Aération douce par renouvellement d’air double flux. Non édité.
Jean-Louis Frechin
— WaSnake ELA, série Interface(s), carte blanche Via 2008. Etagère modulable, dispositif de diffusion d’information. Non édité.

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