Après avoir découvert l’œuvre du plasticien japonais Kohei Nawa en 2013, le chorégraphe Damien Jalet a souhaité travailler avec lui sur un projet commun. Dans le cadre d’une résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto, ils ont conçu le spectacle Vessel, à l’intersection entre la danse et la sculpture.
Le corps dans Vessel : entre humanité et statue, entre solide et liquide
Les sept interprètes de Vessel demeurent difficilement distinguables les uns des autres tout au long du spectacle. Leurs corps nus sont arc-boutés et recroquevillés sur eux-mêmes, la tête dissimulée entre leurs bras ou leurs mains. Le visage ainsi caché, les danseurs perdent toute identité pour devenir de purs corps, puisqu’il n’est plus possible de distinguer aisément leur âge, leur ethnie ou leur sexe. L’œil du spectateur est si peu habitué à pareille vision que ces corps sans tête apparaissent par moments comme des motifs symétriques en mouvement, éloignés de toute apparence humaine.
Les corps nus évoluent dans un décor sombre, où l’eau se fait successivement éclaboussante, moussante et givrante. Sur scène, la sculpture de Kohei Nawa se présente comme un navire de glace blanche, faite à partir d’un matériau très particulier : le katakuriko, issu de la fécule de pomme de terre, qui se solidifie lorsqu’on la manipule et se liquéfie lorsqu’on cesse de la toucher. La sculpture reflète ainsi la dualité présente dans le corps humain, corps solide composé à plus de moitié d’eau.
Vessel : une « danse sculpturale », une « sculpture chorégraphique »
Vessel repose en définitive sur une série d’oppositions : humain et non-humain, solide et liquide, mais aussi danse et sculpture. En effet, les deux disciplines artistiques peuvent être perçues comme antagonistes : la sculpture relève de l’immobilité tandis que la danse est mouvement. Damien Jalet ajoute : « Si la sculpture est ce qui se rapproche le plus de l’éternité, la danse, au contraire, est peut-être l’art le plus éphémère ». A l’intersection de ces deux démarches, Vessel travaille sur le corps à la fois en tant que matière mouvante et matière sculpturale. « Je voulais qu’il soit impossible de distinguer s’il s’agissait d’une danse sculpturale ou bien d’une sculpture chorégraphique », résume Damien Jalet.