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Vertige

10 Jan - 14 Fév 2009
Vernissage le 09 Jan 2009

En mélangeant interrogations identitaires et matières organiques, Morgane Le Guillan propose l’expérience d’un corps dans tous ses états.

Communiqué de presse
Morgane Le Guillan
Vertige

L’oeuvre de Morgane Le Guillan trouve ses points d’ancrage dans une veine actuelle d’artistes portant une réflexion sur le destin du corps, motivée par une évolution scientifique où l’image du corps glorieux et entité close se dissipe au profit d’une déchirure béante vers le corps biologique, mécanisé, fantasmé, en perte de lui-même.

Morgane Le Guillan interroge la construction identitaire dans une société du progrès et s’engage depuis une dizaine d’années dans une «recherche plus intuitive» des formes et des matières organiques.

Dans ses pièces, une communication de sens s’engage entre l’intériorité et l’extériorité du corps ne pouvant alors plus se résumer à un organisme préétabli. Cette prise de liberté révélatrice dans l’agencement du corps fait directement écho au «corps sans organes» amené par Artaud et développé par Deleuze quant à l’étude de l’oeuvre de Bacon: un corps qui doit se délester de l’organisation primaire du corps vécu pour plonger dans le chaos, seul garant de l’avènement d’un corps-sensation.

Les oeuvres de Morgane Le Guillan s’inscrivent dans la lignée de «l’extraversion» et de l’«anagramme» selon Bellmer: un mouvement du dedans vers le dehors où tout est visible et ouvert, sans frontière aucune et en relation constante ; et une fragmentation offrant d’infinies combinaisons qui subliment le corps dans tous ses états. Cette appréhension du corps si atypique prend notamment effet au travers des objets constituant l’oeuvre intitulée Tores (1999).

Ils se présentent comme d’énormes orifices inscrits dans une inversion sans début ni fin et dont l’ambivalence sexuelle se fait activateur de fantasmes sans limites. L’importance accordée à l’ouverture en même temps qu’à l’indétermination ménage dans l’oeuvre de Morgane Le Guillan une part de mystère faisant systématiquement vibrer la corde sensible de l’imaginaire.

Ce langage de la (per)mutabilité rend possible une continuité avec l’environnement dans lequel sont placés les objets, y compris avec le spectateur. L’oeuvre Connexions (2000) évoque l’idée d’un prolongement du corps et la recherche d’agencements inédits dans les rapports à l’altérité. L’artiste explore à nouveau ce questionnement identitaire par une nouvelle configuration du corps dans la série photographique présentée à Eponyme galerie.

L’emploi de matériaux tels que le silicone, la mousse ou le latex affirme une volonté de produire des objets directement référencés au domaine médical et permet une grande liberté de manipulation, de transport, de transformation. Cet emploi engage le spectateur dans un jeu d’attraction-répulsion enclenché par l’aspect séduisant attribué à des éléments aux résonances peu engageantes, parfois même angoissantes.

Le festin (2006) illustre un autre paramètre essentiel dans ce jeu du désir engagé par l’artiste: la séduction autant que la cruauté du réel ne peuvent coexister que dans un humour grinçant dont la perspicacité enchante autant que la lucidité meurtrit. Cette ironie du décalage se manifeste entre autre dans les titres des oeuvres, une part essentielle du dispositif qui met à l’épreuve le visiteur. Ainsi sont inscrites des touches de poésie sur de séduisants étalages de viscères comme Le festin, Mon amour pour vous est intact ou En attendant (2007).

Les photographies de Morgane Le Guillan présentées lors de l’exposition à Eponyme galerie sont le résultat d’un projet mené en collaboration avec la galerie Vertige de Bruxelles. Cette galerie se situe au sein d’un centre psychiatrique de jour. Elle est gérée par les patients du centre avec le soutien du personnel. Le travail de Morgane Le Guillan a su attirer l’attention de l’équipe de la galerie Vertige, unanimement séduite par la dimension tactile des objets et les possibilités de pouvoir appréhender l’oeuvre autrement que par le regard. Il s’en est suivi une sélection de pièces portant sur les notions de manipulation, de jeu, l’expérimentation étant la motivation principale dans le choix d’oeuvres telles que Le parc (2002) ou les Tapis de jeux (2000-2002).

Il s’agissait de mettre en place un projet où les patients pourraient devenir de réels acteurs dans le processus de travail et où le jeu d’interaction avec les objets deviendrait la raison d’être de l’oeuvre. La série photographique s’est alors rapidement imposée comme la forme la plus adéquate pour rendre visible le temps de l’expérience, en livrer la trace à même l’espace d’exposition.

Malgré des attentes en grande partie définies et un protocole de prise de vue déjà pensé, l’artiste a d’abord laissé le champ libre à l’expérimentation afin d’encourager les initiatives et de favoriser le temps d’apprivoisement des objets par les patients. La deuxième étape de l’expérience s’est réalisée avec des consignes édictées par l’artiste comme par exemple la sobriété des postures et de la tenue vestimentaire afin que les objets fassent réellement corps.

L’artiste insiste sur le souvenir d’une grande aisance des patients avec les objets, passant outre leurs connotations ou les choix de positionnement sur le corps. Que cette propension à la désinhibition et à l’imagination ait un rapport ou non avec la pathologie, qu’importe dans ce contexte où l’essence de la réussite du projet se situe sans doute davantage dans un respect de la personnalité de chacun, des envies comme des angoisses, de la gène comme de l’ardeur. Si cette expérience a pu trouver un terrain propice au jeu très sérieux de la quête identitaire au sein d’un centre psychiatrique, c’est à l’évidence parce que le sujet y est central, mais il n’en demeure pas moins que le propos de l’oeuvre réalisée en ces lieux s’adresse à tout individu, à tout être humain.

Les photographies présentées à Eponyme galerie ont été sélectionnées parmi une série de 200 photographies réalisées en 2008 durant ces deux journées intenses de prise de vue en collaboration avec les personnes qui y figurent, munies des objets-prothèses produits par l’artiste. Il est maintenant du ressort du public d’aller y puiser la force de l’expérience, peut être en prenant le temps du mouvement de l’oeil et plus encore celui de la chair, du corps à corps.
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