Yoichi Ohira, Cristiano Bianchin et Laura de Santillana ne pratiquent pas l’artisanat du soufflage de leurs propres mains. Ils sont pourtant le fer de lance de cette « nouvelle vague » (le terme est celui employé dans le texte d’introduction) qui a su mettre à profit la tradition de l’île pour développer un langage novateur et donner une nouvelle vitalité à la création de Murano.
L’exposition s’ouvre sur la production de Yoichi Ohira, né au Japon et établi à Venise depuis les années 70. Cette entrée en matière a sans doute valeur de symbole, tant ce renouveau créatif est lié aux échanges noués entre les artisans de l’île et des créateurs internationaux.
Yoichi Ohira connaît parfaitement les savoir-faire de Murano : la variété des techniques qu’il utilise (inclusions, saupoudrages, gravure à la roue, polissage…) témoignent d’un travail collectif, auquel l’artiste rend hommage en associant les maîtres verriers à la signature de ses pièces. L’audace des associations de couleurs se conjugue à un jeu sur l’opacité et la transparence, notamment dans la série des Finestre qui font penser aux kaléidoscopes ou aux lanternes animées des chambres d’enfants.
Ohira aborde la surface de ses contenants à la manière d’un canevas, composant des paysages en mouvement (la lagune, une coulée de lave, la forêt) dont il traduit l’atmosphère plutôt que la forme. Le mouvement est aussi au cœur du travail qu’il entreprend à partir de 2006 avec le verre transparent (cristallo), soufflé, taillé et poli. La série Cristallo Sommerso – Quintet, placée dans l’axe de l’Arche de La Défense, dessine une skyline dont la verticalité est animée par un effet de torsion et de déhanchement. La transparence de ces pièces joue du contraste saisissant entre les lignes très structurées de l’enveloppe extérieure et la forme organique de la bulle d’air à l’intérieur.
De contraste, il en est aussi question dans l’œuvre de Cristiano Bianchin, qui conjugue la dureté du verre à la souplesse du fil de chanvre dont il gaine certaines de ses créations. Ce dernier matériau est lié à un souvenir d’adolescence : une besace conçue par ses soins à l’âge de 16 ans et assemblée par sa mère. La mémoire est un thème central de son travail. Il mêle les références artistiques (Hommage à Yves Klein ou la série Crisaliforme, qui évoque les sculptures de Brancusi) à son histoire personnelle. Certaines pièces semblent porter des traces d’usure, d’autres s’accompagnent d’objets « trouvés », toutes sont présentées sur des tables à la manière d’objets de fouille.
Pour Bianchin : « Nos origines, notre passé est la source de tout ». Est-ce par pudeur ou parce que ce passé nous échappe que l’artiste s’emploie à voiler la transparence du verre ? Soit qu’il le recouvre d’une enveloppe de chanvre, polisse sa surface pour l’opacifier ou travaille un verre noir d’une grande profondeur. Cette volonté de voiler / dévoiler est à rapprocher de la charge érotique de la plupart de ses pièces : les sceptres aux formes phalliques ou les urnes qu’il compare lui-même à des utérus et qu’il remplit parfois d’œufs en verre ou en bois.
Parmi ces trois artistes, Laura de Santillana est sans doute celle qui pousse le plus loin l’idée de série. Cette démarche est particulièrement évidente dans ses sculptures aux formes rectangulaires, obtenues en laissant se dégonfler une bulle préalablement façonnée en forme de sac. L’exposition en présente une vingtaine. Par une subtile variation de contours ou une nouvelle combinaison de couleurs, chacune parvient à évoquer une image différente : un lever de soleil (Dawn III), un drapeau (Flag), un livre ouvert (Sans-titre) ou encore une toile de Rothko (série Tokyo-Ga). Les pièces qui composent cette dernière série révèlent le talent de coloriste de Laura de Santillana : judicieusement placées face à une fenêtre, donc éclairées par une lumière naturelle, elles forment une mosaïque de couleurs envoûtante. On n’arrive à se détacher de ce spectacle qu’en se promettant de revenir un autre jour, à une autre heure et avec un autre ciel pour l’admirer sous une autre lumière.
Cristiano Bianchin
― Hommage à Yves Klein, 1998. Verre soufflé, surface gravée à la roue, chanvre crocheté. Collection de l’artiste.
Yoichi Ohira
― Finestre n° 28 (Viva !), 2007. Verre soufflé à partir de « murrine » avec inclusions de fragments colorés et transparents ; taillé, surface gravée et polie. Collection de l’artiste.
― Cristallo Sommerso – Quintet, 2009. Verre transparent dit « cristallo », soufflé ; taillé et poli, cols gravés à la roue « inciso ». Collection de l’artiste.
Cristiano Bianchin
― Crisaliforme, Jar (Forme Chrysalide, Pot), 2005. Verre soufflé, surface gravée à la roue et polie, objet trouvé (pot en métal), bois d’orme. Collection de l’artiste.
Laura de Santillana
― Flag 1 (Drapeau 1), 2008. Verre soufflé et modelé à chaud. Collection privée, USA.
― Tokyo-Ga XIV, 2008. Verre soufflé et modelé à chaud. Collection privée, Californie.