Succession d’instants éphémères, le temps est soumis à d’incessantes interruptions, et promis à d’éternels recommencements. C’est à ce processus dynamique que se confie l’exposition, où le devenir est la seule manière d’exister.
Une œuvre exposée en sous-sol par Laurent Montaron diffuse un son lointain mais strident, émis par un tourne-disque. Tinnitus est une installation à la fois visuelle et sonore: le défilement d’un disque vinyle qui ne comporte qu’un seul sillon et semble pouvoir ainsi tourner à l’infini.
Mais le déroulement est un processus actif, et chaque cycle du disque en altère le sillon. Le son, court motif de bruits étranges et répétitifs, s’atténuera inexorablement jusqu’à sa disparition totale. Comme un cœur dont on entend les pulsations, mais dont nous savons qu’il est voué à s’arrêter de battre, cette œuvre est vouée à disparaître.
La disparition est aussi le thème de l’œuvre de Pernille Kapper Williams. Un miroir semble ne renvoyer rien d’autre que l’image du spectateur. Pour en révéler le sens, il faut souffler sur la glace, et l’inscription «Please don’t leave me» apparaît. Allusion à l’œuvre du même nom de Bas Jan Ader, à la disparition mystérieuse de l’artiste, et message de désespoir adressé à notre propre image qui disparaît sous la buée, pour réapparaître quelques instants plus tard. Image différente car nous aussi sommes soumis à l’influence de ce temps destructeur.
Une dalle de marbre noir posée à même le sol scelle cette présence de la mort: Birthmarks, de Sonja Engelhardt, mesure 180 x 55 cm. Ce sont les dimensions d’un corps ou d’un cercueil. La dalle, parfaitement lisse et noire, est marquée de petits trous, dont les motifs et la disposition reprennent les taches de naissance du corps de l’artiste. Marques de naissance et pierre tombale, début et fin, se côtoient dans cette œuvre, où la vie se fige dans le marbre.
Alignées sur un mur, neuf photographies de films composent Nine Ways To Say It’s Over, d’Alexander Gutke. Chacune présente le mot «fin» dans une langue différente, sur un fond noir. Le mythe des neuf vies émerge de cette répétition finale en forme d’épitaphe, que la succession transforme en renouveau. La mort n’est que le dernier morceau d’une bobine de cinéma, la fin d’un cycle, promis à la renaissance et au recommencement.
Recommencer? Comme ce conteneur rempli de glace qui une fois fondue sera regelée de nouveau, ressuscitée sans pour autant se reconstituer à l’identique. La surface de l’œuvre de Mel O’Callaghan ne présente jamais deux fois les mêmes traits: les marques sur ce bloc de glace seront toujours uniques. Dans ce cycle infini, la matière toujours changeante est le symbole même de la vie.
Cette certitude mécanique du cycle se retrouve dans la deuxième pièce d’Alexander Gutke, The White Light of the Void. C’est une caméra dont le film tourne en boucle. Un film, ou plutôt une bobine vierge, tourne au travers de la pièce, fixant ainsi sur sa surface la poussière qui sera projetée à l’écran. Ecran qui nous dévoilera la destruction, le vieillissement, de ce film ridé condamné à finir brûlé par son projecteur.
Le temps dans cette exposition est chose précieuse, l’instant y est fragile. Fixée au mur, Melancholia de Laurent Montaron est une drôle d’horloge. Une horloge? Pas vraiment, c’est un autre appareil, un space-echo dont les méandres de la bobine magnétique, cyclique, rappellent le temps qui passe. Space-echo privé de son, privé de son écho. Mais l’écho n’est-il la marque du son qui se rappelle à nous alors qu’il est en train de disparaître ?
Sonja Engelhardt
— Birthmarks, 2006. Granite gravé. 180 x 55 x 3 cm.
Mel O’Callaghan
— All In One Day, 2007. Eau, moteur, système de réfrigération, plexi, acier. 180 x 60 x 55 cm.
Pernille Kapper Williams
— Homage to Bas Jan Ader (Please Don’t Leave Me), 2007. Miroir. 60 cm.
Alexander Gutke
— The White Light of the Void, 2002. Installation. 16 mm.
Laurent Montaron
— Melancholia, 2005. Space echo Roland RE-201 arrangé, encrusté au mur.
Alexander Gutke
— 9 Ways To Say It’s Over, 2006. 9 photographies. Encadré. 18 x 24 cm.